Quartiers de Reconquête républicaine et plan anti-suicides : Castaner à la hauteur pour la rentrée ?
Alors que plusieurs marches de policiers sont annoncées à travers la France dans les prochaines semaines, Christophe Castaner entame sa rentrée en s'attelant aux thèmes du suicide et de l'insécurité. Saura-t-il convaincre les forces de l'ordre ?
Hormis le questionnement sur le maintien de l'ordre après de longs mois de crise sociale dans les rues françaises, les grands chantiers de Christophe Castaner demeurent inchangés depuis son arrivée à Beauvau à l'automne 2018, lorsqu'il a remplacé Gérard Collomb au débotté. Parmi ceux-ci, le sentiment de sécurité des Français et les suicides au sein des forces de l'ordre sont souvent revenus sur le devant de la scène.
Concernant le premier dossier, la Police de Sécurité du Quotidien (PSQ), censée permettre, selon les termes du gouvernement, la reconquête républicaine dans les quartiers placés en zone QRR, a finalement été relancée par l'actuel ministre de l'Intérieur, après avoir été initiée par son prédécesseur redevenu simple maire de Lyon. En l'espèce, un communiqué de presse adressé aux rédactions le 6 septembre rappelait en ces termes : «C’est après des mois d’une consultation riche auprès des professionnels de la sécurité qu’a pu naître, en février 2018, la police de sécurité du quotidien, demandée par le Président de la République.»
La «reconquête républicaine» a été expérimentée dans 15 quartiers en 2018, selon ce communiqué de Beauvau, qui précise que l'initiative montre ses «premiers résultats» et rappelle que 32 nouveaux quartiers ont été placés en QRR en 2019.
L'actualité récente a-t-elle donné raison au ministre de l'Intérieur, le confortant dans son action, ou au contraire a-t-elle démontré l'inefficacité du dispositif ? Le hasard du calendrier a en tout cas voulu que le 8 septembre, seulement deux jours après l'annonce de la relance de la PSQ, trois policiers ont dû faire usage de leur arme de service à huit reprises, sans faire de blessé, après avoir été visés par des tirs de mortier lors d'un contrôle à Grigny dans le quartier de la Grande-Borne. Les fonctionnaires ont d'abord suivi une voiture qui refusait d’obtempérer, avant que les occupants de celle-ci ne l'abandonnent. Lorsqu'ils se sont approchés du véhicule, qui contenait des stupéfiants, l'équipage police-secours a essuyé les tirs. Selon un tweet du compte officiel de la police nationale de l'Essonne, un policier a été brûlé au bras, est atteint de surdité et demeure «très choqué».
Cette après-midi des #policiers ont été de nouveau violemment pris à partie à @villedegrigny91 sur le secteur Grigny II. Un fonctionnaire a été brûlé au bras droit suite à un tir de mortiers dans sa direction. Il est atteint de surdité et il reste très choqué. pic.twitter.com/mYU6iv5LDY
— Police Nationale 91 (@PoliceNat91) September 8, 2019
Cet incident s'est produit tout près de la zone sensible de Viry-Châtillon, dans l'Essonne, où en octobre 2016, des policiers avaient été gravement blessés par des cocktails Molotov. A la suite de ces violences, un mouvement spontané avait été initié, connu sous le nom de «policiers en colère». Il s'agit précisément d'une zone qui avait déjà été placée en ZSP (zone de sécurité prioritaire) sous l'égide de Manuel Valls qui était alors premier flic de France. Ensuite, le secteur avait été placé en zone QRR par l'actuel gouvernement en février 2019...
Christophe Castaner et Eric Morvan ne peuvent nous déployer à fois pour réprimer la contestation populaire et le crime organisé... Ils ont fait leur choix
Ce parallèle n'a pas échappé au syndicat ViGi Police, qui a produit un communiqué de presse à cet égard le 9 septembre dans lequel le partenaire social dénonce : «Démonstration avec confirmation que les QRR ne sont qu’un vaste plan com’. Le problème d’insécurité n’est pas nouveau. Mais le nouveau monde de monsieur Macron est aussi incompétent que l’ancien monde en la matière. Mais qu’attendre d’un plan rédigé par des technocrates dans des salons feutrés ?»
Plus loin dans ce même communiqué, le syndicat dresse un autre parallèle : «Monsieur le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner et monsieur le directeur général de la police nationale (DGPN), Eric Morvan ne peuvent nous déployer à la fois pour réprimer la contestation populaire et le crime organisé. Ils ont fait leur choix.» Gilets jaunes et violences dans les cités : deux poids deux mesures pour Beauvau ?
C'est ce que sous-entend ce syndicat de policiers que RT France a contacté. Le délégué départemental de ViGi Police, Noam Anouar, semble incrédule au téléphone : «ZSP, QRR, PSQ, c'est du blabla tout ça. On avait aussi eu les UTeQ sous Sarkozy [ces unités territoriale de quartier ont ensuite été remplacées par les brigades spéciales de terrain par Brice Hortefeux en 2010]... Chaque ministre de l'Intérieur lance son dispositif. Mais le fond du problème, c'est qu'on ne veut pas rétro-pédaler en admettant qu'on veut recréer les polices de proximité. Alors à chaque fois, on nous explique que c'est différent et on utilise des statistiques opaques pour recréer un maillage de zones prioritaires. Je me souviens notamment du placement de la petite ville de Chambly dans l'Oise en ZSP sous Manuel Valls, c'était assez étrange comme choix.»
Interrogé sur l'implication de ses confrères dans ces dispositifs successifs et sur les effectifs alloués à ces quartiers dans lesquels la République doit effectuer une «reconquête», le policier syndicaliste soupire : «Les gens ne se sentent pas du tout concernés. Du point de vue du terrain, il n'y a rien. Globalement, on déshabille Pierre pour rhabiller Paul. C'est même pire : un ami qui travaille en police municipale m'a dit que lorsque le maire de la commune où il travaille embauchait des policiers municipaux, la police nationale supprimait des postes dans le commissariat local.»
Suicides des forces de l'ordre : Castaner saura-t-il trouver une solution ?
L'autre grand sujet dont Christophe Castaner semble résolu à se saisir est celui du suicide au sein des forces de l'ordre qu'il dirige. Depuis le 1er janvier, 51 policiers nationaux et 11 gendarmes ont mis fin à leurs jours, selon le funeste décompte de l'association Uniformes en danger. La situation devient dramatique pour l'employeur commun des forces de l'ordre. A titre de comparaison, ce même décompte affichait 36 suicides en police nationale et 33 en gendarmerie au 31 décembre 2018.
Point d'étape sur le dispositif déployé dans la @PoliceNationale pour prévenir les suicides.
— Christophe Castaner (@CCastaner) September 9, 2019
Un programme global structuré autour de 3 axes :
1⃣ mieux répondre à l'urgence
2⃣ prévenir les situations de fragilité
3⃣ agir sur le collectif de travail. pic.twitter.com/i9XjtHCjEZ
La création d'une hotline téléphonique destinée à répondre aux policiers suicidaires avait été annoncée par le ministère de l'Intérieur pour le mois de juin 2019, mais selon les associations contactées à la fin du mois de juin, telles que le Collectif autonome des policiers d'Ile-de-France, le nécessaire n'avait pas été fait.
Vous croyez sérieusement qu'un policier qui veut mettre fin à ses jours va appeler une hotline ?
Le 25 juin, un membre de ce collectif interrogé par RT France alertait : «Où est la hotline sur le suicide qui devait être mise en service par le gouvernement au mois de juin ?» Recontacté par RT France ce 29 août, le même contact avait réitéré : «Castaner parle de son grand plan contre le suicide, mais nous, les policiers, on est au courant de rien. Dans nos rangs, on ne voit rien venir... Alors qu'en tant qu'associatifs, cela fait deux ans qu'on réclame des états généraux sur la souffrance au travail et les risques psychosociaux dans la police.»
Pourtant au mois d'avril, Christophe Castaner tweetait effectivement : «Aujourd'hui, avec vous tous, j’ai décidé de me battre. J’ai décidé de renforcer nos moyens et nos actions. J’ai décidé d’affirmer haut et fort que le suicide dans la police et la gendarmerie ne sera jamais une fatalité.»
Notre premier objectif, c’est de déceler l’alerte et de répondre à l’urgence :
— Christophe Castaner (@CCastaner) April 12, 2019
✅ écoute téléphonique 24h/24 pour signaler les risques
✅ réunions et séances de formation pour sensibiliser chacun
✅ travail transversal avec psychologues, médecine préventive, assistants sociaux.
Lors de l'engagement du ministre au mois d'avril, 25 policiers s'étaient ôté la vie en 2019, depuis, 26 autres ont fait le même choix. Une réaction se faisait cruellement attendre dans les rangs des forces de l'ordre. C'est chose faite avec l'annonce du 9 septembre sur le compte Twitter du ministre qui claironne : «"Etre fort, c’est aussi savoir demander de l’aide." Une ligne externe dédiée aux policiers, ouverte 24h/24 et 7j/7 vient désormais compléter et enrichir l'offre de soutien présentée en juin dernier. Elle sera au cœur d'une campagne de communication à destination de nos forces.»
Interrogé à cet égard par RT France, le syndicaliste Noam Anouar n'est pas très optimiste : «L'origine du problème ne va pas changer... Mais après leur annonce sur les barbecues [le 27 mai la direction de la police proposait aux fonctionnaires d'organiser des barbecues dans les commissariats pour favoriser la convivialité], ils veulent éviter le ridicule alors ils préfèrent rester dans le flou, plutôt que de nous donner du concret. Des collègues de terrain harcelés tous les jours par la hiérarchie, je peux vous en trouver plein, mais des choses sérieuses pour arrêter ça, je ne sais pas. Vous croyez sérieusement qu'un policier qui veut mettre fin à ses jours va appeler une hotline, vous ? Franchement, je ne me sens plus concerné par leurs singeries communicationnelles.»
A en croire les annonces des associations et des syndicats majoritaires du secteur, Noam Anouar n'est pas le seul à trouver la rentrée de Christophe Castaner un peu faible. Un rassemblement est organisé le 14 septembre dans cinq villes de France (Paris, Toulouse, Saint-Brieuc, Bourg-en-Bresse et Nantes) à l'appel de l'association Uniformes en danger pour «soutenir nos uniformes» et contre les suicides, le harcèlement au travail, le manque de moyens matériels et humains. La présidente de l'association, Christelle Teixeira, a assuré plusieurs fois auprès de RT France qu'elle avait tenté de faire entendre sa cause auprès du ministère de l'Intérieur et des élus de la majorité, mais avec très peu de retours positifs depuis 2018.
Annoncée ce 10 septembre dans un communiqué, une «marche de la colère» est également organisée par une intersyndicale des grandes organisations policières le 2 octobre à Paris «pour l'amélioration de la qualité de vie au travail, une véritable politique sociale pour les agents du ministère de l'Intérieur (transports, logement, restauration, garde d'enfants, mutuelle...), une réponse pénale réelle, efficace et dissuasive, la défense des retraites et une loi de programmation ambitieuse pour un service public de qualité», selon le syndicat France Police, contacté par RT France.
Outre une certaine lassitude des organisations syndicales, des associations de police et des policiers de terrain confrontés aux problèmes récurrents du suicide et du sentiment d'impunité des délinquants dans les zones sensibles, l'annonce d'événements de ce type promet un durcissement du dialogue syndical avec le ministère de l'Intérieur, qui a beaucoup sollicité ses personnels dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre au cours de l'hiver 2018/2019. Si Christophe Castaner entend réformer la police nationale avant la fin de son mandat, il est à gager qu'il trouvera une solide ligne de défense au sein de ce corps de la fonction publique qui souffre actuellement d'un manque de reconnaissance.
Antoine Boitel