Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

La France entre de plain-pied dans la confrontation avec la Russie

La France entre de plain-pied dans la confrontation avec la Russie
La France entre de plain-pied dans la confrontation avec la Russie (illustration générée par l'intelligence artificielle)
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La France va construire des drones en Ukraine et ainsi bénéficier de «l’expérience» de l’armée atlantico-ukrainienne dans la guerre contre la Russie. Karine Bechet-Golovko rappelle que par cette décision, Sébastien Lecornu engage la responsabilité de la France et de ses entreprises pour les crimes commis lors de l’utilisation de ces drones.

La nouvelle est tombée comme une étape supplémentaire franchie dans l’escalade vindicative des autorités françaises. Selon le ministre de la Défense, « une grande entreprise produisant des voitures françaises – je ne donne pas le nom parce que c'est à elle de l'annoncer – va s'allier avec une PME de défense française pour armer des lignes de production en Ukraine pour être capables de produire des drones ».

Sans préciser de quel type de drones il s’agit, Sébastien Lecornu a toutefois précisé qu’ils seraient militaires, puisque l’armée française est censée ainsi pouvoir en bénéficier : « Nous allons aussi en faire bénéficier nos propres armées françaises pour avoir en permanence un entraînement tactique, opératif qui colle à la réalité du conflit en Ukraine. »

Par ces quelques mots, le ministre français de la Défense a remodelé le cadre politico-juridique de l’engagement de la France sur le front ukrainien :

1.    La France s’installe officiellement sur le sol ukrainien dans le but de renforcer la capacité d’agression de l’armée atlantico-ukrainienne contre la Russie.

2.    La France s’implique dans l’industrie militaire ukrainienne.

3.    La France se prépare au conflit contre la Russie.

L’implication de la France, comme celle des autres pays de l’OTAN, y compris celle des États-Unis de Trump, est une situation de fait depuis des années. Le financement et la préparation de l’armée sur le front ukrainien, sans parler de la fourniture du renseignement militaire, de la technologie qui implique la présence de spécialistes étrangers et l’encadrement de ces forces armées font des pays de l’OTAN des parties au conflit.

Mais à ce jour, chacun de part et d’autre de la ligne de front tente de limiter les implications de cette réalité, afin da ralentir l’escalade du conflit. Avec l’arrivée de Trump, nous sommes même confrontés à une tentative de déresponsabilisation des États-Unis, au nom d’une mythique scission des élites globalistes.

Toujours est-il que dans ce scénario hollywoodien, étrangement accepté par la Russie, si les États-Unis sont légèrement et temporairement protégés, les pays européens – dont la France – sont en plein dans le champs des projecteurs et sont mis en première ligne.

La déclaration de Lecornu prend une importance particulière car, en raison de la personne de son locuteur, elle officialise une situation, qui restait avant tacite. Le taire est désormais impossible. Le cacher encore moins. La France entre de plain-pied dans la confrontation avec la Russie et la montée en puissance du discours politico-médiatique du gouvernement français le corrobore.

Nous avons ainsi pu voir une publication particulièrement suggestive sur le réseau X de l’état-major de l’armée française, reconstituant le trident ukrainien accompagné de ce texte sans aucune subtilité : « Formation, expertise, équipements : la France renforce les capacités des forces ukrainiennes. Soutien total : tactique, technique, matériel. Même combat. Même détermination. Pour l’Ukraine. Pour l’Europe. » Le tout accompagné de photographies suggérant l’implication directe de l’armée française sur le sol ukrainien aux côtés de l’armée atlantico-ukrainienne.

Responsabilité juridique de la France

Au-delà de cette implication directe, reconnue et revendiquée, des forces armées françaises dans le conflit en Ukraine contre la Russie, un autre aspect très sensible mais moins connu du grand public doit retenir notre attention : celui de la responsabilité juridique de la France et des entreprises françaises embarquées dans cette aventure.

Les armes fournies, comme nous le voyons, sont souvent utilisées contre des cibles civiles. Il suffit pour cela de voir le niveau de destruction des territoires quelques mois occupés dans la région de Koursk par les forces armées atlantico-ukrainiennes, le bombardement systématique des habitations dans les régions frontalières de Koursk ou Belgorod, les missiles et drones tirés sur les marchés, moyens de transport ou simples habitations dans les nouveaux territoires. Il y a quelques jours de cela, toute une série d’attentats a été commise contre les voies ferrées russes, ayant notamment conduit au déraillement d’un train de passagers dans la région de Briansk suite à l’explosion du pont qu’il traversait. Plus d’une centaine de blessés, huit morts, de simples voyageurs.

Tout cela constitue un crime de guerre. Chacune de ces actions constitue une violation des Conventions de Genève et ainsi du droit international humanitaire. Chaque violation entraîne la responsabilité de ses auteurs, de ses coordinateurs, de ses faciliteurs, de ses commanditaires. Et Kiev n’est que la partie émergée de l’iceberg, derrière laquelle se cachent de plus en plus difficilement les pays de l’Axe atlantiste.

Or, la responsabilité des États et des marchands d’armes peut être engagée, au-delà d’un possible tribunal international après la victoire, dès à présent dans les juridictions nationales de ces mêmes États au titre de la compétence universelle de leurs juridictions. À quelques conditions processuelles près, bien sûr. Mais le ministre de la Défense vient d’ouvrir grand la porte à une série de recours en justice contre la France.

Les autorités françaises ont parfaitement connaissance des crimes commis par l’armée atlantico-ukrainienne. En renforçant la capacité de production d’armes létales de cette armée, elles cautionnent l’utilisation qui en sera faite. Notamment leur utilisation contre des cibles civiles. Et d’ailleurs, Lecornu le revendique en affirmant que cette coopération permet de faire mieux comprendre comment se battre contre la Russie.

La Russie étant l’ennemi, comme on peut l’entendre en boucle sur le petit écran, l’opinion publique doit être préparée. La violation du droit international humanitaire est censée être ainsi légitimée, du moins volontairement ignorée : le droit ne s’applique pas à l’ennemi, l’ennemi doit disparaître, la Russie doit disparaître.

« Renault s’engage aujourd’hui encore sur la même pente glissante et honteuse »

La France et les entreprises engagées dans cette production tombent avec le gouvernement dans le piège tendu. Sont-elles prêtes à cela ? Certes, elles seront protégées dans les tribunaux. Mais elles risquent de se retrouver dans les tribunaux. Les gouvernements peuvent tomber, les ministres changer, les politiques prendre des virages secs en fonction de l’air du temps. Les politiques survivent à tout, c’est leur métier, ils ne savent nager qu’en eaux troubles. Ce sont les carpes de notre monde. Les entreprises, elles, peuvent perdre beaucoup à salir leur réputation, elles peuvent faire faillite.

Nous nous rappellerons la Seconde Guerre mondiale et la collaboration des entreprises françaises, notamment de l’automobile, avec le régime nazi, suivant en cela la ligne posée par le Régime de Vichy. Après la Libération, ce régime est tombé, suivi par quelques têtes. Et Renault, lui, a été nationalisé. Renault s’engage aujourd’hui encore sur la même pente glissante et honteuse.

Les entreprises françaises prêtes à répéter l’histoire sans en tirer les leçons devraient y réfléchir. Si nos élites politico-industrielles n’ont strictement aucune morale, au moins qu’elles aient un minimum d’instinct de survie.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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