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La défense de l'Ukraine ? «Pas notre business !», répond l'Afrique

La défense de l'Ukraine ? «Pas notre business !», répond l'Afrique© John Thys, Pool Photo via AP
Macky Sall, président de l'Union africaine lors d'un sommet à Bruxelles en février (illustration).
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Kiev multiplie les appels du pied au continent africain, divisé sur l’attitude à adopter face au conflit russo-ukrainien. Volodymyr Zelensky tente de convaincre ses homologues africains de condamner l’agression de son pays par Moscou.

Par le biais de ses ambassades présentes localement, le président Volodymyr Zelensky a appelé les Africains à rejoindre sa Légion internationale pour la défense territoriale de l’Ukraine jouant avec le sentiment antirusse perceptible dans certains pays. Pas du goût de l’Algérie, du Sénégal, du Nigéria ou de l’Afrique du Sud qui ont appelé «leurs ressortissants à reconsidérer très rapidement leur décision de partir combattre sur le sol d’un pays étranger».

En mars dernier, une large majorité de pays africains a adopté une résolution à l’Assemblée générale de l’ONU qui exige que la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine. Malgré tous les efforts du dirigeant ukrainien, une vingtaine de pays africains se sont abstenus de voter contre la Russie ou ne se sont simplement pas montrés lors de cette réunion, signe flagrant des divisions importantes qui règnent sur ce continent partagé entre un soutien direct ou non à l’Ukraine. Parmi eux, le Sénégal, dont le président Macky Sall est également à la tête de l’Union africaine (UA). Bien que ce dernier ait eu un entretien cordial avec l’ancien comédien mué en chef de guerre par les circonstances, c’est aussi l’attitude des diplomates ukrainiens qui agacent fortement certains pays africains.

Rejoint conjointement par l’Algérie, l’Afrique du Sud, le Kenya et le Nigéria, le Sénégal a vertement critiqué les efforts mis en place par les diplomates ukrainiens répartis sur tout le continent, venus convaincre les Africains de rejoindre la Légion internationale pour la défense territoriale de l’Ukraine, créée aux premiers jours du conflit en février dernier. Selon divers analystes cités par la Deutsche Welle, «de nombreux jeunes Africains pourraient être tentés de se rendre en Ukraine en tant que combattants engagés afin d’échapper à la pauvreté», loin de toute appétence pour la sauvegarde de la démocratie.

Selon Ryan Cummings, directeur de Signal Risk, un cabinet de conseil en gestion des risques de sécurité basé en Afrique du Sud, Zelensky essaye de capitaliser sur les conditions socio-économiques que traverse l’Afrique depuis la crise du Covid-19 afin d’attirer des combattants africains en Ukraine. Un discours qui semble faire mouche dans certaines couches de la société africaine. «Si l’Ukraine décide de me payer une très bonne somme d’argent, que je sais que je ne peux pas gagner ici, j’irai certainement là-bas et je me battrai» a déclaré au micro de ce quotidien allemand Kimanzi Nashon, un étudiant, persuadé qu’il va revenir au Kenya comme «un millionnaire». Un discours approuvé par Béatrice Kaluki : «Si une opportunité se présentait pour moi de combattre en Ukraine en tant que mercenaire, je mets mes talons et je file là-bas. Je préférerais mourir en première ligne en Ukraine en sachant que ma famille serait indemnisée même après ma mort, plutôt que de mourir au Kenya d’une dépression causée par un chômage insensé» explique cette chômeuse de 27 ans. Pour Ryan Cummings, la perspective d’obtenir la nationalité ukrainienne afin de vivre le rêve occidental est une autre raison qui pousse les jeunes Africains dans ce conflit.

Préoccupé par ce phénomène, le ministère nigérian des Affaires étrangères a lancé un avertissement à ses concitoyens sur les réseaux sociaux, affirmant qu’il ne tolérerait aucun recrutement de mercenaires dont l’objectif serait de partir combattre aux côtés des forces ukrainiennes contre les troupes russes.

À 21 ans, le prince Nkem Nduche a vu ses espoirs de rejoindre la Légion internationale fondre subitement comme neige au soleil. Ancien secouriste d’urgence pour la Croix-Rouge, il avait préparé un dossier d’incorporation qui a été finalement refusé. Loin d’être démoralisé, il explique à la BBC qu’il a déjà trouvé un moyen de contourner l’interdit en passant par la Pologne dont les représentants semblent plus enclins à fournir un visa et qui lui permettra de rejoindre la frontière ukrainienne. Pour lui, c’est avant tout une revanche sur son passé. Il a vécu quelque temps en Russie dans sa jeunesse, il a même la double nationalité et s’était inscrit à l’académie militaire russe avant d’être emprisonné durant une courte période. Il a été accusé d’être un espion par les autorités russes qui lui ont reproché ses trop nombreuses visites inexpliquées à l’ambassade américaine. Cependant, il confesse que le coup est risqué, risquant un long séjour dans les geôles d’Abuja, la capitale du Nigéria, réputée pour être un mouroir. «Je sais que la guerre n’est pas un jeu d’enfant mais être soldat en Ukraine serait mieux que d’être ici. Je pourrais rester là-bas et en plus je serais considéré comme un héros» croit savoir de son côté Ottah Abraham, diplômé en philosophie.

Un succès mitigé pourtant, même si l’ambassadrice d’Ukraine en Afrique du Sud, au Mozambique et au Botswana, Lioubov Abravitova, a reconnu sur les ondes de la BBC que des centaines de personnes de toute l’Afrique australe s’étaient portées volontaires pour combattre ou travailler à titre humanitaire. Des propos qui ont immédiatement soulevé un tollé à Pretoria, déjà très échaudée par la décision européenne de supprimer l’accès aux chaînes russes, dénonçant un «acte de censure sans justification légale».

Partenaire de la Russie, à la suite des déclarations de la diplomate, l’Afrique du Sud s’est empressée de rappeler qu’elle interdisait à ses ressortissants toute forme de mercenariat. Le pays de Nelson Mandela s’est doté d’une stricte législation sur ce type d’activités, visant principalement les anciens militaires blancs qui ont quitté l’armée à la fin du régime de ségrégation raciale et qui se sont transformés en «chiens de guerre», considérés comme étant très efficaces sur le terrain. Même son de cloche à Dakar qui n’a pas apprécié les appels à venir combattre de l’ambassade d’Ukraine après que celle-ci a confirmé sur son site le recrutement de 36 personnes prêtes à être envoyées sur le front pour les aider dans leur guerre contre les forces du président Poutine. «Illégal et punissable par la loi», a rétorqué le gouvernement sénégalais.

«Ces jeunes qui veulent s’impliquer dans cette guerre n’ont pas pleinement pris en compte les implications politiques ou religieuses» explique Serigne Bamba Gaye. «Ils sont seulement intéressés à répondre à un appel sans même comprendre les enjeux entourant le conflit ukrainien» déplore encore ce chercheur sur la paix, la sécurité et la gouvernance à l'Institut américain de formation aux opérations de paix, qui regrette la manière dont l’Ukraine utilise la naïveté de la jeunesse africaine appâtée par l’argent facile. Un activisme qui déplaît aussi fortement à la Russie, présente militairement et économiquement dans plusieurs pays africains.

«Tout pays qui aidera activement l’Ukraine dans cette guerre sera considéré comme en guerre avec la Russie», a averti très solennellement le Kremlin qui considère le continent africain comme un terrain conquis, désormais loin des préoccupations françaises.

Frédéric de Natal

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