Le président français parle de l’Afrique comme si ce continent constituait un ensemble cohérent mais Emmanuel Macron n’a réussi à convaincre ni les Africains, ni à contrebalancer l’influence de Pékin et Moscou, ni à masquer son néo-colonialisme.
La France a pris la présidence tournante de l’Union européenne le 1er janvier de cette année. Parmi les priorités annoncées par le président Emmanuel Macron, la mise en place d’un «New Deal, économique et financier avec l’Afrique». Un «contrat de paix et de prospérité» permettant d’accompagner ce continent menacé par un véritable désastre économique et dont les grandes lignes seront définies au cours d’un sommet les 17 et 18 février avec les chefs d’État concernés lors duquel Emmanuel Macron a annoncé le retrait militaire de la France du Mali. Un axe euro-africain cher au dirigeant français mais qui semble pêcher par un afroptimisme loin de toutes réalités.
À son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron avait annoncé la couleur. Souhaitant mettre fin au manichéisme politique initié par la Ve République avec ses anciennes colonies d’Afrique noire, surnommée cyniquement Françafrique, il avait très rapidement appelé à «réinventer» les relations franco-africaines, bousculant les habitudes, parfois avec une certaine maladresse. Un quinquennat plus tard, les promesses faites au cours de ses nombreux déplacements en Afrique se font toujours attendre. Notamment de la part d’une jeunesse africaine qui avait pourtant massivement applaudi la parole présidentielle, croyant que celle-ci allait lui donner un sésame vers l’Europe bien plus facilement que celle de ses prédécesseurs. La crise sanitaire et la realpolitik ont fini par rattraper Emmanuel Macron qui a signé l’échec de l’opération Barkhane, celle de l’Eko (la monnaie censée remplacer la Franc CFA) et qui n’a pu empêcher l’émergence de la Russie ou de la Chine sur le continent. Deux pays qui n’ont de cesse de grignoter le pré-carré économique et diplomatique français. En proposant à l’Afrique, un «New deal» (Nouvelle donne) économique, terme emprunté au président Roosevelt et qui avait permis aux États-Unis de sortir de la crise économique en 1929, Emmanuel Macron peut-il véritablement redessiner la carte budgétaire d’un continent qui se lasse de la France et qui est éloignée de ses préoccupations européennes ?
Il s’agit de remettre encore plus le sort des économies africaines entre les mains des intérêts privés et de la finance.
L’objectif premier d’Emmanuel Macron est clair. Mettre à la disposition de l’Afrique 300 milliards d’euros qui seraient octroyés par le Fonds monétaire international (FMI), au titre de l’allocation des Droits spéciaux du tirage (DST), afin d’aider les pays les plus touchés par la crise économique post-Covid à venir. Le tout étalé sur trois ans, un système qui permet de «fournir des devises aux pays qui en ont besoin sans créer de dette supplémentaire».
Le projet a été conçu afin d’éviter tout détournement par des officines gouvernementales locales, les milliards étant répartis équitablement sous l’œil de l’Union européenne. Cette enveloppe pourrait être renforcée par une aide apportée par l’ensemble des pays composant le G7. Emmanuel Macron a même suggéré la vente d’une partie des réserves d’or, celles-ci ayant considérablement pris de la valeur durant la pandémie de Covid, afin de financer son plan. Pour le président français, il y a urgence à rembourser la dette morale que l’Hexagone aurait vis-à-vis de ses anciennes colonies, d’autant plus que l’endettement de l’Afrique est en net accroissement. 70 % de son PIB, en 2020, que la France a déjà tenté de faire baisser discrètement en annulant quelques dettes (comme en mai dernier avec le Soudan). Tout en «augmentant son aide au développement de 32 %» comme l’indique le quotidien Jeune Afrique. «L’Europe doit porter une stratégie commune avec l’Afrique dans les instances internationales, pour permettre cette solidarité» a indiqué Emmanuel Macron qui entend rajouter au volet financier «un agenda en matière d’éducation, sanitaire, de santé et de climat à la hauteur des enjeux de l’Afrique».
Un paternalisme triomphant qui est étonnant et un optimisme qui contraste avec la réalité tant il est incohérent de la part du président de la République de parler d’une Afrique au singulier. Le continent est constitué de 54 pays qui ont vécu chacun la crise sanitaire de manière inégale et dont les économies ne peuvent être mises en parallèle selon un seul critère. «L’émergence africaine est un mythe et l’enthousiasme des afroptimistes [est] aussi précipité que mal fondé» explique Loup Viallet dans son essai Après la paix – Défis français (VA éditions). «En réalité, l’Afrique subsaharienne n’a jamais été aussi fragile […] et en l’état actuel des économies, la promesse d’une sortie rapide du sous-développement n’est pourtant pas réalisable. Les rentes issues de l’exploitation des matières premières sont non seulement peu redistributives mais ont aussi vocation à diminuer au cours des prochaines décennies», poursuit ce spécialiste de l’économie africaine. Même constat du côté de l’organisation Survie : «Ce "New Deal" macronien est une déclinaison du Consensus de Paris exposé en novembre dernier, lors d’un entretien du président français à la revue Le Grand Continent. […] Comme souvent avec Emmanuel Macron, sous un emballage se voulant disruptif, ce sont les mêmes recettes libérales éculées qui sont servies : il s’agit ici, en l’occurrence, malgré les dénégations, de remettre encore plus le sort des économies africaines entre les mains d’intérêts privés et de la finance» dénonce l’association qui lutte contre toutes formes de néocolonialisme quelles qu’elles soient.
Elle enfonce même le clou : «Sans changements profonds et radicaux [tout ceci reste] de la poudre de perlimpinpin, de grossières manœuvres ayant pour objet de permettre à la France de maintenir et même étendre une influence et une domination sur le continent africain alors qu’elle est de plus en plus concurrencée dans son pré carré par ses rivaux habituels ainsi que par de nouvelles puissances, notamment asiatiques». «Ce que Macron dénonce en Europe, il le défend en Afrique» ironise la revue Le Grand Continent qui craint au contraire que les propositions renforcent les stéréotypes de dépendance de l’Afrique à la France.
Un pari qui est donc loin d’être gagné pour Emmanuel Macron dont on ne sait pas s’il pêche par excès de réalisme, teinté d’une forme de naïveté, ou par méconnaissance d’une Afrique méfiante qui n’attend plus après la France.
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