Les autorités russes ont montré au public le missile pointé du doigt par les Etats-Unis comme violation du traité FNI. Mais pour Philippe Migault, cela ne changera rien, car Washington n'entend pas voir son action être juridiquement limitée.
La présentation par les autorités russes à un public d’attachés militaires du désormais fameux missile 9M729, ne règlera vraisemblablement pas la crise qui, depuis cinq ans, couve entre Russes et Américains. Ceux-ci, qui assurent avoir des preuves que l’engin en question viole le traité sur les Forces Nucléaires Intermédiaires (FNI), n’ont pas délégué leur attaché de défense au dévoilement de l’arme, imités en cela par leurs collègues de l’OTAN en poste à Moscou, Français, Britanniques, Allemands… Un geste indiquant implicitement que leur religion est faite et que rien de ce que pourront dire les Russes ne les fera changer d’avis. L’ultimatum lancé à la Russie le 4 décembre dernier par Donald Trump, exigeant que la Russie se mette en conformité avec le traité ira, en conséquence, vraisemblablement à son terme, sans que tous les gestes de bonne volonté imaginables n’infléchissent en quoi que ce soit la résolution de la Maison Blanche et de ses alliés.
Le 9M729 est légal. Aux Etats-Unis d’apporter la preuve du contraire
Le ministère russe de la Défense, qui présentait le 9M729 dans son conteneur, a bien livré un certain nombre de renseignements concernant l’engin. Le patron de l’artillerie et des forces balistiques russes, le général Matveevski, a expliqué qu’il s’agissait d’une nouvelle version, allongée car susceptible d’emporter une charge supérieure, du missile 9M728 équipant déjà les célèbres systèmes Iskander-M. Toutefois l’engin, qui serait mis en œuvre par un TEL (Transporteur Erecteur Lanceur) d’une capacité supérieure à celui qui équipe actuellement l’Iskander-M (capacité de 4 missiles au lieu de 2), conserverait une portée inférieure à 500 kilomètres (480 précisément), donc ne contrevenant pas au traité de Washington interdisant en Europe les missiles de portée intermédiaire, soit d’une allonge comprise entre 500 et 5 500 kilomètres. Il ne s’agirait donc pas d’un engin proche du missile Kalibr, cas de figure fréquemment évoqué et –techniquement- parfaitement crédible. La Russie, par ailleurs, assure avoir proposé aux Américains « une série de mesures concrètes » destinée à les convaincre à coup sûr que le missile n’a pas les capacités qu’ils estiment. Bref, sur le papier, tout est clair. Le 9M729 est légal. Aux Etats-Unis d’apporter la preuve du contraire.
Les Etats-Unis n’entendent plus voir leur action limitée à l’international par quelque entrave juridique que ce soit
Sauf que ceux-ci ne le feront sans doute pas. En premier lieu parce qu’il est aisé de souligner que les Russes ont présenté un engin en conteneur, qu’on ne peut donc réellement examiner, et qu’il est impossible dans ce cadre de tirer quelque conclusion à décharge que ce soit. Parce qu’il est tout aussi facile, ensuite, d’assurer que Matveevski n’a pas exposé le bon missile mais un autre projet, réel ou imaginaire. Parce que dévoiler ses preuves, reviendrait sans doute à dévoiler simultanément la façon dont elles ont été obtenues. Secret défense. L’argument massue. Parce que les Etats-Unis, enfin, qui se sont assis sur toute une série de traités internationaux et de résolutions de l’ONU depuis la disparition de l’Union Soviétique, n’entendent plus voir leur action limitée à l’international par quelque entrave juridique que ce soit. Le 9M729 n’est qu’un prétexte.
Qu’attendons-nous pour réagir et dévoiler les preuves que nous avons ?
Si les Américains ne présentent pas de preuves, on peut en revanche en attendre de la part de la France. Jean-Yves Le Drian, aussi prompt à jouer les bons élèves de l’OTAN au Quai d’Orsay qu’au ministère de la Défense, a déclaré en décembre dernier que la France, convaincue de la violation du traité FNI par la Russie, considérerait la Russie comme responsable de la caducité du traité si elle n’apportait pas de réponse aux accusations. Elle vient de le faire. Qu’attendons-nous pour réagir et dévoiler les preuves que nous avons pour nous aligner aussi fidèlement depuis le début de la crise sur la position américaine ? Or le Quai d’Orsay a renvoyé hier la balle dans le camp des seuls Russes et Américains. Pourquoi ?
Nos services ont aussi leur point de vue. Qui n’est pas nécessairement celui des Etats-Unis
N’est-on pas en droit d’attendre une confirmation des assertions américaines par les services de renseignement français ? Une déclaration selon laquelle les spécialistes de la DGSE et/ou de la DRM sont parvenus aux mêmes conclusions que leurs homologues américains ? On entend que ces derniers lorsqu’il s’agit de la Russie. Mais nos services ont aussi leur point de vue. Qui n’est pas nécessairement celui des Etats-Unis. C’était le cas de la DRM sur la crise du Donbass et les menaces d’invasion russes. Le cas de l’Etat-major des armées (EMA) sur un certain nombre d’affirmations américaines concernant la situation en Syrie, grâce aux renseignements remontés par les services. Une confirmation de nos services, engageant leur réputation et leur honneur, et assurant que le 9M729 viole bien le traité de Washington, serait la bienvenue s’il faut, une fois encore, soutenir la position américaine dans un dossier aussi sensible.
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