Pour Jacques Sapir, l'affaire Alexandre Benalla ne relève pas seulement du code pénal mais a tout d'un scandale d'Etat. Au-delà du délit d'usurpation de la fonction de policier, il s'agit en effet d'un proche d'Emmanuel Macron, au cœur de son réseau.
Un scandale monte en puissance depuis le mercredi 18 juillet au soir. Un collaborateur d’Emmanuel Macron, Alexandre Benalla, serait impliqué dans des actes de violences contre un manifestant lors de la manifestation du 1er mai dernier. Circonstance aggravante, il aurait «infiltré» les rangs de la police après s’être muni d’un brassard officiel. Depuis le mercredi 18 juillet au soir, on est allé de révélations en révélations dans ce qu’il faut bien appeler aujourd’hui un scandale d’Etat.
Les faits
La nature des faits reprochés à Alexandre Benalla, qui est décrit comme un «conseiller de l’Elysée» et donc qui se trouve sous l’autorité du chef de cabinet, est simple et tient en deux choses.
Il y a tout d’abord les violences commises contre un manifestant, qui peuvent déjà constituer un délit. Il y a ensuite le port du brassard. Rappelons que l’usurpation de fonctions constitue un autre délit, couvert par l’article 433-12 du code pénal et passible d’une peine de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende. L’Elysée indique que des mesures disciplinaires – 15 jours de suspension – ont été prises à son égard.
A tout le moins le directeur de cabinet peut être poursuivi pour complicité de non-dénonciation ce qui est désigné aussi comme complice par abstention, un délit puni des mêmes peines
Mais il y a en droit français une indépendance entre les poursuites disciplinaires et les poursuites pénales. Les mesures disciplinaires sont prises sans préjudice des mesures pénales. Autrement dit ces mesures disciplinaires ne peuvent en rien remplacer une enquête judiciaire ni s’y substituer. Or, celle-ci n’a été lancée que le jeudi 19 juillet, à cause de la révélation du scandale. Alexandre Benalla est donc désormais poursuivi pour «violences par personne chargée d'une mission de service public», «usurpation de fonctions» et «usurpation de signes réservés à l'autorité publique».
Rappelons alors que la non-dénonciation de délit de la part d'un fonctionnaire dépositaire de l'autorité publique, en ce cas le directeur de cabinet (Patrick Strzoda, ancien préfet, ancien directeur de cabinet de Bernard Cazeneuve) ou son subordonné, constitue à son tour un délit couvert par l’article 40 du code pénal. A tout le moins le directeur de cabinet peut être poursuivi pour complicité de non-dénonciation, ce qui est désigné aussi comme complice par abstention, un délit puni des mêmes peines.
Un passé
Alexandre Benalla n’est pas un simple employé de l’Elysée. Il semble qu'il travaille depuis plus d'un an pour Emmanuel Macron : il a été en effet responsable de sa sécurité pendant sa campagne pour l'élection présidentielle. Mais en fait, son pedigree remonte au-delà. Entre 2011 et 2012, il fut également chargé de la sécurité de Martine Aubry. Puis, il a fait partie du service d'ordre chargé de la protection de François Hollande, alors candidat socialiste à l'élection présidentielle.
On le constate, Alexandre Benalla n’est pas un simple «chargé de mission» comme le prétend l’Elysée
Il a aussi travaillé pour Arnaud Montebourg, qui l’aurait licencié pour une «faute grave». L'ancien ministre du Redressement productif de François Hollande aurait rapidement mis fin à leur collaboration après qu'Alexandre Benalla, ayant provoqué un accident de voiture, avait voulu prendre la fuite. Par ailleurs, Alexandre Benalla a été en parallèle salarié du groupe de sécurité privée Velours et a lancé une Fédération française de la sécurité privée au printemps 2016. On le constate, Alexandre Benalla n’est pas un simple «chargé de mission» comme le prétend l’Elysée. Des photos témoignent d’ailleurs qu’il joue bien plus le rôle de «garde du corps» d’Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron s'éclate sur les pistes de ski de La Mongie #LaMongie#Macron ⛷🇫🇷 https://t.co/trCmgYCa0Rpic.twitter.com/81AoaQbsH3
— Closer (@closerfr) 26 décembre 2017
Il fut aussi vu dans l’autobus qui, le lundi 17 juillet, emmena l’équipe de France dans sa descente des Champs-Elysées, ce qui montre qu’il avait conservé toute la confiance de ses chefs. Il y a ici une continuité qui va du parti dit «socialiste» jusqu’à l’équipe de Macron, et une continuité qui pourrait éclairer bien des choses.
La réalité dépasse la fiction pic.twitter.com/Jh4aFsRLmH
— Emmanuel de Villiers (@E2Villiers) 19 juillet 2018
Un réseau ?
Il y a cependant plus grave. Dans les faits qui lui sont reprochés, Alexandre Benalla a été assisté par un autre «chargé de mission», Vincent Crase, contre lequel une mesure disciplinaire a aussi été prise.
Que de tels comportements n’aient pas donné lieu à une enquête de la justice, laisse apparaître un système de police parallèle
Il s’agit d’un gendarme réserviste, basé dans le département de l'Eure, et qui était un employé de La République en marche. Or, c’est avec Vincent Crase qu’Alexandre Benalla a lancé une Fédération française de la sécurité privée au printemps 2016 comme indiqué plus haut. Cela établit l’existence d’un réseau impliquant au moins ces deux hommes, et peut-être plus.
Que de tels comportements puissent être commis par des personnes travaillant pour le président de la République, que ces comportements, manifestement connus – ils ont donné lieu à des sanctions disciplinaires – et qu'ils n’aient pas donné lieu à une enquête de la justice, laisse apparaître un système de police parallèle appuyé par une pratique d’impunité judiciaire couverte par le directeur de cabinet. Voilà qui écorne sérieusement la prétention à l’exemplarité d’Emmanuel Macron mais aussi qui jette un doute sur les pratiques réelles de l’Elysée. La défense très faible, et parfois contradictoire, de la Présidence de la République indique bien que ce scandale touche au plus profond des pratiques de cette présidence.
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