Six ans après la nomination de Jens Stoltenberg au poste de secrétaire général de l'OTAN, Philippe Migault, directeur du Centre européen d'analyses stratégiques, revient sur les faits marquants du mandat de ce haut fonctionnaire.
Il en va des secrétaires généraux de l’OTAN comme des présidents américains et, de plus en plus hélas, français. Quelle que soit leur nationalité ou leur couleur politique, ils incarnent «le changement dans la continuité». Succédant en 2014 au très offensif Anders Fogh Rasmussen, Jens Stoltenberg en a certes différé par une parole plus «apaisée», davantage diplomatique.
Mais la diplomatie est un adroit mélange de vérité et de mensonge. Or, les actes de Stoltenberg parlent d’eux-mêmes alors que se clôture son mandat. Il s’est fait le fervent défenseur d’une croissance forte des dépenses militaires au sein de l’OTAN, qui n’ont cessé d’augmenter depuis sa nomination. Sa direction a été marquée par les plus importants exercices conduits par l’Alliance atlantique depuis la disparition de l’Union soviétique, manœuvres qui se sont fréquemment déroulées à proximité des frontières russes. Un double discours évident pour un homme qui affirmait en 2016 que l’OTAN, alliance défensive, ne considérait pas la Russie comme une menace imminente. Mais aussi un double discours permanent, tant Stoltenberg se sera signalé par sa pratique du deux poids, deux mesures.
Fustigeant la volonté russe de chercher «à constituer une zone d’influence par des moyens militaires», s’inquiétant de la présence militaire croissante de la Russie en Méditerranée orientale, il a trouvé en revanche tout naturel que les Etats-Unis utilisent leur présence militaire en Europe pour rayonner au-delà de celle-ci, vers le Moyen-Orient, l’Asie et l’Afrique.
«La présence américaine en Europe n'a pas seulement pour objectif de protéger l'Europe, mais aussi de faire rayonner la puissance des Etats-Unis en dehors de celle-ci. On sait que de nombreuses opérations américaines en Irak, Afghanistan et Afrique sont lancées depuis des bases implantées en Europe. Le Commandement militaire américain pour l'Afrique n'est pas en Afrique, mais à Stuttgart en Allemagne», s’enthousiasmait-il en juin dernier.
Plus encore, alors que tous les observateurs un peu sérieux du dossier ukrainien sont parfaitement conscients que l’entrée de l’Ukraine ou de la Biélorussie dans l’OTAN constituerait une ligne rouge pour le Kremlin, Stoltenberg se propose d’élargir l’Alliance à ces deux pays, martelant qu’il se moque totalement de l’avis des Russes. «La porte de l'Otan reste ouverte […] Parfois, on a l'impression que c'est à la Russie de décider si l'Ukraine doit ou non être membre de l'OTAN», déclarait-il il y a un an à des étudiants ukrainiens, mais «la Russie n'a pas un mot à dire ! [Elle n'a] aucune base légale ou réelle pour influencer une telle décision».
Jamais en mal d’une contradiction, il a fait également preuve de mauvaise foi dès que nécessaire, mentant effrontément au mépris de toutes les évidences. Alors que les médias occidentaux les plus politiquement corrects et Emmanuel Macron n’avaient pas hésité à dénoncer la complicité entre la Turquie et l’Etat islamique, Stoltenberg, évoquant l’offensive turque contre les Kurdes dans le nord de la Syrie, appelait Ankara à ne pas faire le jeu de «notre ennemi commun, Daesh». Hop ! Sous le tapis les camions de l’Etat islamique venant livrer le pétrole des Islamistes à la frontière turque ! Jamais vus, les djihadistes circulant en toute tranquillité depuis des années d’un bout à l’autre de la Turquie pour se rendre en Syrie, en Libye ou au Haut-Karabagh ! Pour Stoltenberg, «la Turquie reste un allié important dans la lutte contre le terrorisme».
Ce mandat de Stoltenberg restera enfin celui au cours duquel les Etats-Unis se seront retirés du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), qui avait marqué en 1987 la fin de la première Guerre froide. Washington, on le sait, a évoqué les essais d’un nouveau missile russe, le 9M729, dont la portée aurait violé les dispositions de l’accord conclu entre Reagan et Gorbatchev, pour se retirer du traité. Les Américains n’ont pas apporté le moindre élément de preuve dans ce dossier, comme ils l’avaient fait, photos à l’appui, lors du déploiement de missiles nucléaires soviétiques à Cuba en 1962. Qu’importe. Stoltenberg les a soutenus, balayant d’un revers de main aussi bien les dénégations russes que la proposition d’un moratoire sur les missiles à portée intermédiaire en Europe.
L’OTAN, a déclaré Emmanuel Macron, est en «état de mort cérébrale». Sans doute a-t-il raison. Mais l’inertie de ce paquebot croisant depuis 70 ans est telle qu’il poursuit sa route. Too big to fail. A la barre d’un tel navire, nul besoin d’un Nelson. Un haut fonctionnaire, expédiant sans génie, mais avec conviction et dévouement les affaires courantes pour le compte de ses actionnaires américains fait parfaitement l’affaire. Stoltenberg is the right man, at the right place.
Philippe Migault
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