Pour l'essayiste Jean Bricmont, la décision de la France de frapper la Syrie en s'alignant sur Washington ne répond pas à ses intérêts. Face à cette politique se dresse une opposition rassemblant à la fois des personnalités de gauche et de droite.
Tous ceux qui depuis des décennies, particulièrement dans la «gauche» soixante-huitarde, ont condamné toute revendication d’indépendance nationale en France comme nationaliste – si pas fasciste – et qui ont utilisé une lecture très sélective de l’histoire pour inculquer à des générations de Français la haine et le mépris de soi peuvent être contents :
Aujourd'hui la France n’est plus !
Il est faux de penser qu’elle défend de quelconques intérêts impérialistes français en Syrie ; l’intérêt de la France est, au moins depuis la fin de la période coloniale, de jouer le rôle de force indépendante et modératrice sur le plan international. C'était la seule posture qui lui donne voix au chapitre. Malgré tout ce qui les séparait, les gaullistes et les communistes comprenaient cela. Aujourd’hui, les deux ont disparu et avec eux toute dignité et toute souveraineté française.
En se mettant à la remorque des Etats-Unis et, à travers eux, d’Israël, la France a perdu tout ce qui lui restait de crédit au Proche-Orient et ailleurs dans le monde.
Macron s'est fait élire sur un programme «ni droite ni gauche» et il est vrai qu'il rassemble, pour aller vite, la droite «libérale» et la gauche «des droits de l'homme».
On pourrait rappeler à la première que des guerres non défensives, illégales au regard du droit international et dans lesquelles la France se met à la remorque de puissances étrangères n'est absolument pas une idée libérale : on ne répand pas le libéralisme par les armes, mais par l'exemple.
De même, on pourrait signaler à la seconde que rien ne fait plus de tort aux droits de l'homme que la guerre et plus encore, que les guerres sans fin. Avant l'émergence de la «nouvelle gauche» interventionniste, il y avait toute une tradition de gauche qui allait du pacifisme radical à la défense de la diplomatie et du droit international. Tout cela a été balayé par les Kouchner et les BHL.
Face à cette alliance gauche-droite, on voit émerger une opposition, qui bien que toujours divisée selon un axe gauche-droite, rassemble des gens à la fois de gauche et de droite dans l'opposition à la guerre et la défense de la souveraineté de la France, et qui inclut aussi bien Jean-Luc Mélenchon que Marine Le Pen.
Aux Etats-Unis aussi, il y a une union de fait de tous les fatigués de l'impérialisme, (dont beaucoup ont voté pour Trump et sont souvent déçus aujourd'hui), qui comprend une partie de la gauche radicale ainsi que la droite libertarienne (Ron Paul et Justin Raimundo du site antiwar.com) et les paléo-conservateurs comme Pat Buchanan.
Une certaine police de la pensée qualifie cette dernière alliance gauche-droite de «rassemblement des extrêmes» si pas de «rouges-bruns». En réalité, il n'y a aujourd'hui ni rouges ni bruns (au sens historique du terme) et que peut-on trouver de plus extrême qu'une attaque militaire contre un pays qui ne nous menace en rien ?
En fait, dès qu'il s'agit d'indépendance nationale, il y a toujours des alliances gauche-droite dans les deux camps : à la fois dans la collaboration et dans la résistance pendant la guerre par exemple, mais aussi lors de la campagne du référendum de 2005 ou lors du Brexit. Ce ne sont pas les épithètes qui vont permettre de trancher le débat.
Et maintenant que va-t-il se passer ? Si les frappes qui, semble-t-il, n'ont pas fait beaucoup de dégâts, s'arrêtent, toute l'opération aura été un coup d'épée dans l'eau. Rien n'aura changé dans les rapports de force sur le terrain et la déroute des rebelles se poursuivra. Mais la dignité de la France se trouvera considérablement diminuée, et pour longtemps.
Cependant, il y a une autre victime collatérale de cette aventure : la rationalité, du moins en Occident. «On» (c'est-à-dire la presse et l'immense majorité de la classe politique) nous demande de croire à l'implication russe dans l'affaire Skripal, dont on n'a aucune preuve et qui est extrêmement peu plausible : pourquoi diable aller tenter de tuer un ex-espion qui ne représente plus rien, peu avant des élections et le Mondial de football (de façon à discréditer ces deux événements) avec un poison qui permet d'accuser la Russie et qui en plus laisse les victimes vivantes ?
L'affaire Skripal n'est pas close et voila que les mêmes nous demandent de croire à la responsabilité du gouvernement syrien dans un usage de gaz toxique dans une région que l'armée syrienne a depuis entièrement reconquise. A nouveau, aucune preuve et aucune plausibilité.
Ensuite, on bombarde au moment même où les inspecteurs de l'organisation pour l'interdiction des armes chimiques arrivent en Syrie pour enquêter. Ce qui veut dire qu'on se moque éperdument non seulement du droit international (les bombardements n'ayant aucune base légale) mais même de la possibilité d'une enquête objective.
Finalement, on nous demande de croire qu'on a détruit les usines d'armement chimique en Syrie (en partie, parce qu'il faut prétendre qu'il en reste pour de nouveaux prétextes) sans causer de pollution massive et létale.
Déjà, l'implication russe dans l'élection américaine de 2016 relevait du conte de fée, mais ici on tombe dans l'irrationalité la plus complète. Ce qui a fait la force de l'Occident dans le passé était en partie due à l'adhésion à la rationalité et à la science. Ce qui nous menace le plus aujourd'hui, ce ne sont pas nos ennemis extérieurs réels ou imaginaires (Russie, Chine, Iran, islam, populisme) mais l'auto-destruction que nous nous infligeons en sapant ces deux fondements de la civilisation. A nouveau, sauver ce qu'il en reste est bien plus profond que l'opposition gauche-droite.
Et pour ce qui est de l'indépendance de la France, il reste à espérer que le peuple français sera capable de se révolter contre l’humiliation que lui imposent ses dirigeants.
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