Les réactions sociales et syndicales aux politiques que compte mener Emmanuel Macron pourront lui rendre encore un peu plus compliqués le devoir de rassembler les Français et donc aussi l'exercice du pouvoir, estime l'essayiste Eric Verhaeghe.
RT France : Comment voyez-vous le quinquennat d’Emmanuel Macron ?
Eric Verhaeghe (E. V.) : Il est un peu tôt pour savoir à quoi va ressembler le quinquennat d’Emmanuel Macron. Aujourd’hui, ce qu’on sait, c’est ce que lui a dit de son quinquennat : il a annoncé dès l’été des mesures assez fortes, comme un réforme du marché du travail, du code du travail par ordonnances, une loi sur la transparence, la moralisation de la vie politique, un certain nombre d’autres mesures, notamment comme l’introduction d’une dose de proportionnelle, etc. Il a dit ce qu’il voulait.
Après, il y deux questions : va-t-il réellement faire ce qu’il a dit ? Et aura-t-il les moyens de le faire ? Pour beaucoup de Français, c’est l'inconnue, puisqu'on ne connait pas le poids de sa majorité parlementaire. Il va devoir remplacer l’Assemblée nationale par une nouvelle assemblée avec les élections législatives, à l’issu du mandat naturel des parlementaires, et nul ne sait aujourd’hui quel sera le contenu de sa majorité parlementaire. Personne ne sait s’il sera doté d’une majorité absolue qui lui permettra de gouverner pendant cinq ans en faisant ce qu’il veut, ou s’il aura une majorité simplement relative, ou s'il devra composer avec d’autres forces politiques.
Soit Macron va être capable de dégager une dynamique lui permettant d’emporter les législatives, soit il va échouer et il devra remettre en cause son programme
La situation est compliquée. En réalité, tout va se jouer paradoxalement durant les 15 ou 21 premiers jours de son mandat. C’est-à-dire que soit il va être capable de dégager une dynamique lui permettant d’emporter les élections législatives, soit il va échouer et il y aura une difficulté concrète : il devra tempérer, remettre en cause son programme, ne pas tout appliquer. En réalité, personne ne sait : on connaît globalement son intention, mais on ne le connaît pas en détail, on ne connaît que les grandes lignes. La question est de savoir quels députés le soutiendront et quelle majorité il aura à l’Assemblée nationale.
RT France : Est-il possible de prévoir aujourd’hui le résultat des élections législatives ? Quelles sont les tendances actuelles ?
E. V. : On connaît les tendances qui ont été dégagées, en gros, le lendemain du débat avec Marine Le Pen. Et aujourd’hui on a vu que ce débat avait eu un fort impact sur l’opinion, parce que Marine Le Pen était créditée d’environ 40% des voix au second tour avant ce débat ; et elle a perdu au moins 5 points, très probablement à cause de ce débat et du travail sur l’opinion qui a été réalisé après. On voit que les situations peuvent basculer. Mais les projections faites la semaine dernière parallèlement au débat montraient qu’Emmanuel Macron pouvait compter sur environ 200 députés. La majorité étant de 289 députés, il lui en manquerait une bonne centaine pour être à l’aise.
Compte tenu des incertitudes, Emmanuel Macron a déjà annoncé qu’il accepterait d’investir sous l’étiquette En marche! des députés appartenant à un autre parti que le sien
Un certain nombre d’éléments vont venir modifier la situation. Compte tenu des incertitudes des résultats aux législatives, Emmanuel Macron a déjà annoncé qu’il accepterait d’investir sous l’étiquette En marche! des députés appartenant à un autre parti que le sien : il leur demande de faire campagne sous son étiquette, mais il valide le principe de candidatures de candidats socialistes, qui resteraient au Parti socialiste, mais qui feraient campagne sous l’étiquette En marche!
Compte tenu de ce changement, il n’est pas impossible qu’Emmanuel Macron parvienne une fois encore à grignoter un certain nombre de sièges qui lui permettront de s’approcher d’une majorité absolue. Mais en l’état, la situation n’est pas extrêmement simple pour lui.
Si Macron ne prend pas en considération l'opinion publique, il peut être confronté à un problème de légitimité accru par les réactions sociales et syndicales
RT France : Quelle est votre appréciation du taux d’abstention et surtout du nombre de votes blancs ?
E. V. : Le nombre de vote blanc, à ma connaissance, n’est pas définitivement établi. Mais les quatre millions de votes blancs annoncés, plus les 12 millions de Français inscrits qui ne sont pas allés voter – cela nous ferait 16 millions de votants qui ne se seraient pas prononcés. C’est un taux extrêmement important, il faut se souvenir que Jacques Chirac en 1995 a été élu environ avec 16 millions de voix, François Hollande a été élu en 2012 avec 18 millions. C’est-à-dire qu’avec 16 millions d’abstentions ou de votes blancs cette année, on n’est pas très loin du score du président de la République au deuxième tour durant les scrutins précédents.
Il va donc falloir prendre en considération ce signal envoyé par la partie de l'opinion qui ne s’est pas retrouvée dans l’offre politique du second tour. Soit Emmanuel Macron va être en position de fédérer, de rassembler et de faire adhérer à sa candidature et à ses listes électorales un certain nombre de Français qui ont cette fois dit «Je ne me reconnais pas là-dedans», soit il va échouer, et il devra bien admettre être confronté à un problème de légitimité accru par les réactions sociales, syndicales face à la politique qu’il compte mener. Tout va se jouer dans les prochains jours.
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.