La région du Moyen-Orient a besoin d’une Syrie renouvelée, mais c'est à son peuple de choisir le nouveau leader. Nabil Fahmy, ex-ministre égyptien des Affaires étrangères, confie à RT son sentiment sur les conflits clés en cours dans la région.
RT : Plusieurs opérations militaires se déroulent actuellement au Moyen-Orient : en Syrie, en Irak, au Yémen. Tout cela change la nature des tensions régionales, les rendant plus ouvertes. Est-ce, selon vous, positif on négatif ?
Nabil Fahmy (N. F.) : Franchement, je trouve que c’est les deux à la fois. Certainement, lorsqu’il y a autant d’opérations dans lesquelles des Etats sont impliqués directement, il y a un grand danger. Mais de l’autre côté, rendre plus visible quelque chose donne à chacun non seulement des obligations, mais aussi des responsabilités. J’espère que cette nouvelle approche reflète la compréhension que les choses n’ont pas bien fonctionné, que l’on ne pourra pas résoudre les problèmes par l’intérmediaire de parties tierces et qu’il faut opter de préférence pour des approches diplomatiques.
L’ordre du jour international et régional s'est superposé à l’ordre du jour national
RT : Pensez-vous qu’en accroissant les opérations la communauté internationale pourrait se rendre compte de l'urgence des problèmes et que cela pourrait accélérer leur résolution, ou les enjeux seront-ils encore plus grands ?
N. F. : C’est très difficile à dire. D’un côté, c’est vrai que cela rendra les enjeux beaucoup plus grands, les chefs d’Etats seront tenus responsables des pertes militaires et civiles par leurs peuples respectifs. Les erreurs peuvent donner lieu à des réactions très sérieuses des autres pays, surtout si les grandes puissances de la région et les superpuissances y participent.
Je crois sincèrement qu’il n’existe pas de solution militaire à tout cela. Même si je suis en faveur du recours à la force dans la lutte contre le terrorisme, il doit aller de pair avec la diplomatie. Les problèmes auxquels nous faisons face au Moyent-Orient sont au fond le résultat de deux choses : un déficit dans la gestion des changements et une trop grande depéndence des puissances étrangères pour les questions de sécurité nationale. L’ordre du jour international et régional s'est superposé à l’ordre du jour national. [...]
L’opportunité de régler la situation en Syrie a été perdue, parce qu’elle n’était pas au top de l’ordre du jour
RT : Vous avez séverement critiqué le gouvernement de Bachar el-Assad pour avoir recouru à la force sans satisfaire les demandes de réformes émanant de la population. A votre avis, si le président syrien avait démissionné la même année que Hosni Moubarak et Mouammar Kadhafi, la région serait-elle dans un meilleur état aujourd'hui ?
N. F. : Dès le début de cette crise, la Ligue arabe a envoyé une force de maintien de paix en Syrie, dirigée par un général soudanais. Si on y avait prêté plus d’attention, à l’époque, avec la participation des puissances régionales et des superpuissances, nous aurions pu gérer cette situation et garantir une transition paisible. Mais l’opportunité n'a pas été saisie parce qu’elle n’était pas dans les priorités de l’ordre du jour.
Je ne pense pas que l’on puisse ignorer ce qui se passe en Syrie depuis cinq ans. C’est pourquoi nous avons besoin d’une Syrie renouvelée, et dans beaucoup de domaines. Pour mettre en place de nouvelles pratiques, il faut de nouvelles personnes. Mais c’est à la Syrie, et pas à quelqu’un d’autre de les choisir. Pour moi, la priorité, c’est ce qui permet une transition stable et la préservation de l’Etat syrien.
RT : Vous savez que l’armée syrienne soutient le président syrien. Mais, en parlant du recours à la force, aujourd’hui plusieurs acteurs internationaux font concrètement usage de matériels militaires en Syrie. N’est-il pas hypocrite de critiquer Bachar el-Assad, alors que tout le monde utilise ces moyens ?
N. F. : D’abord, les moyens ne sont pas les mêmes. Ensuite, je ne critique pas le président Assad dans la défense de son propre pays, mais je le critique pour ce qu’il fait endurer à sa propre population. Il existe un problème de gouvernance au Moyen-Orient et on se pose des questions.
Il y a des choses qui se passent en Syrie et il nous faut progresser, trouver un consensus. Je ne pense pas que le départ de Bachar el-Assad soit une solution maintenant. Mais je serai très surpris si en fin de compte, un nouveau sytème ne faisait pas son apparition...
Ce qui s’est passé en Libye est un exemple d'actions tactiques sans vision stratégique
RT : Cette année, cela fait cinq ans que Mouammar Kadhafi a été assassiné, quelle menace constitue la Libye actuelle ?
N. F. : C’est une catastrophe potentielle pour l’Egypte. On a toujours envie d’avoir un Etat stable pour voisin. Ce qui s’est passé en Libye est un exemple d'actions tactiques sans vision stratégique. Si l’on décide d’utiliser la force dans n’importe quel endroit, il faut le faire avec beaucoup d’attention et un plan exact pour le futur. Ce qui s’est passé en Libye... Ils sont venus chercher Kadhafi et ont laissé le pays à ceux qui avaient des armes et de l’argent. Même pour un pays comme l’Egypte il est extrêmement difficile de comprendre qui sont de vrais acteurs en Libye. Le processus de reconstruction de l'Etat prendra du temps [...]
Ce qu’il faut faire, à mon avis, c’est augmenter la capacité des autorités libyennes à gérér le pays, sécuriser les frontières et, pour cela, déployer une force de l’ONU, de la Ligue arabe, de l’Union africaine, non pas pour gouverner les Libyiens, mais pour sécuriser les frontières. Ce sera la première étape de la reconstruction de l’Etat.
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