Comment expliquer que les célébrations sportives en France tournent si souvent à l’émeute et au pillage ? Alexandre Regnaud analyse ce phénomène particulier, mettant en lumière sa dimension récurrente et géographiquement dispersée.
2 morts, 192 blessés, 559 interpellations, 320 gardes à vue, 692 incendies, dont 254 véhicules, des dizaines de commerces pillés, des pompiers agressés, un policier dans le coma. C’est le bilan de la victoire du PSG en Ligue des champions. Une habitude désormais pour n’importe quel événement populaire. Un phénomène propre à la France qu’il faut essayer de comprendre.
Les violences liées aux grands événements sportifs ont longtemps été culturelles au Royaume-Unis, elles sont également présentes en Allemagne, en Italie ou au Pays-Bas, où plusieurs cas ont été enregistrés en 2024 et jusqu’à la mort d’un supporter en 2023 avant un match Naples-Rome. Mais cette violence, généralement bien gérée par les forces de l’ordre, reste globalement liée aux groupes de supporters « ultra » et dépasse rarement les abords des stades.
La particularité française vient du fait que les événements sportifs ne servent que de prétexte à un large phénomène de pillage et d’émeutes, extérieur au monde des supporters, déconnecté géographiquement de l’évènement (pour la victoire du PSG, des incidents à Poitiers, Creil, Angers, Grenoble, Dax, Coutances, Alençon, Vitré, etc.), et qui est désormais systématique à chaque événement festif populaire, et pas uniquement pour les compétitions sportives (14 juillet, 31 décembre, etc.).
Les profils décelables sur les nombreuses vidéos circulant sur les réseaux sociaux sont toujours les mêmes, la « racaille » classique, jeunes en survêtement, majoritairement issus des « banlieues ». Pourtant cette « jeunesse » là n’est pas non plus particulière à la France, elle prolifère de nos jours dans toute l’Europe occidentale. Une première explication de cette « exception française » est à chercher chez les forces de l’ordre.
Les défauts sont ici structurels. Le fiasco de la finale Liverpool-Real Madrid au Stade de France en 2022 en est une parfaite illustration. La théorie du maintien de l’ordre « à la française » se base sur une répression violente et principalement réactive. Une approche pensée contre des manifestations classiques, structurées, mais particulièrement inefficace contre cette violence émeutière des « racailles », qui se déplacent en petits groupes très mobiles et opportunistes dans leurs attaques et leurs pillages. C’est ce qui explique en partie que la répression ait été d’une rare violence contre le mouvement populaire des Gilets Jaunes et semble quasi absente à chaque phénomène d’émeutes venues des « banlieues ».
On note aussi des défaillances dans la chaine de commandement. Les ordres tardent souvent à venir pour agir contre des points de rassemblement de pillage lorsqu’ils sont identifiés. En 2025 comme en 2022, de nombreux médias étrangers, à l’exemple du New York Times ou du Guardian, soulignent ainsi la lenteur de réaction des forces de l’ordre françaises. A noter que, comme pour la différence de répression, certains y voient une politique délibérée, mais cela est déjà un autre sujet.
Surtout, ce qui explique principalement ces émeutes et pillages récurrents, c’est le sentiment total d’impunité des racailles, en France (et en Belgique) plus que partout ailleurs en Europe. Un sentiment d’impunité largement encouragé par un laxisme judiciaire particulièrement choquant, qui scandalise régulièrement les réseaux sociaux et que confirment les chiffres.
Dans un rapport publié en janvier 2025, l’Institut Pour la justice (IPJ) analyse 98 % des peines prononcées en 2022. L’étude révèle que moins de 20 % des délits sont sanctionnés par une peine de prison ferme. Dans les rares cas où une peine ferme est prononcée, 75 % des peines durent moins d’1 an, dont 30 % même inférieures à 6 mois.
De la même manière, 35,8 % seulement des violences contre les forces de l’ordre donnent lieu à une peine de prison ferme, et 86,1 % de ces condamnations sont inférieures à un an. On comprend mieux pourquoi ils n’hésitent plus à attaquer directement les véhicules de police. Un mineur quant à lui est sûr d’échapper à la prison, avec 1,1 % d’incarcération, ce qui ne les empêche pas de piller et détruire comme les autres.
Résultat, 80 % des Français estiment la justice trop laxiste.
A cela une double explication. Tout d’abord un corps de magistrats largement ancré idéologiquement à gauche, et qui considère le délinquant comme une victime… de la société. A fortiori s’il est issu de l’immigration, bien entendu. Donc des juges qui leur cherchent majoritairement des excuses plutôt que des condamnations.
Par ailleurs, l’insécurité atteint désormais un tel niveau en France, que malgré ce laxisme, le pays souffre d’une réelle surpopulation carcérale, avec 129,3 % d’occupation au 1ᵉʳ janvier 2025. Soit 80 669 détenus (dont 25,1 % de détenus étrangers) pour seulement 62 385 places disponibles. Ce qui encourage les magistrats à privilégier d’autres peines que la prison.
Et c’est le serpent qui se mord la queue : le laxisme judiciaire entraîne plus de délinquance, qui entraîne malgré tout davantage de condamnations, donc une surpopulation carcérale, qui à son tour nourrit le laxisme judiciaire, et ainsi de suite…
Moralité, un couple police/justice structurellement défaillant et manquant cruellement de moyens (avec toujours cette même question : mais où va l’argent ?). Ce qui donne un sentiment d’impunité à certains profils spécifiques, parallèlement de plus en plus nombreux sur le territoire français.
Un tableau bien sombre, que chacun constate autour de soi, entre insécurité quotidienne et vague de « barbares » (l’expression est du ministre de l’Intérieur) à chaque grand événement, rappelant les pillages de la chute de Rome.
En définitive, avant de fantasmer sur des interventions militaires dans le reste du monde, Macron ferait mieux de commencer par essayer d’intervenir dans son propre pays.