Le FN n’est battu uniquement parce que l’électorat de gauche se déplace pour voter pour le candidat de droite et inversement, estime Jean-Yves Camus, l’auteur du livre «Les Droites extrêmes en Europe», en analysant les résultats des régionales.
RT France : Le Premier ministre Manuel Valls a déclaré dans son intervention d’après les résultats que «le danger de l’extrême droite n'est pas à écarter». Qu'en pensez-vous ?
Jean-Yves Camus : Ce soir il est effectivement écarté dans la mesure où le Front National n’a gagné aucune région. Il est écarté dans la mesure où l’ampleur de la victoire des Républicains dans le PACA et le Nord est assez forte. Ce n’est pas une victoire étroite comme on a pu le penser : 54,6% pour Estrosi et 45,4% pour Maréchal-Le Pen, c’est un différentiel assez énorme. Pour autant, cela ne résout pas le problème de fond. On a depuis plusieurs décennies un Front National qui est entre 15%, 20% et désormais 28% des votes. On ne peut se satisfaire d’un système où le Front National est battu uniquement parce que l’électorat de gauche se déplace pour voter pour des candidats de droite, ou l’inverse. Ce qui s’est passé ce soir, c’est un tir de barrage contre le Front National. D’une certaine manière, c’est une victoire par défaut parce que les électeurs de gauche ont été obligés pour battre le Front National de voter pour des candidats dont ils ne partagent aucune des idées. Je ne suis pas persuadé qu’on puisse effectivement durer très longtemps comme cela, où on se rassemble uniquement contre quelque chose. Il va falloir à un moment donné au premier tour une participation enfin digne d’un pays démocratique. C’est quand même une abstention de 50% au premier tour. Il va falloir aussi qu’il y ait une nouvelle manière de faire de la politique. Manuel Valls en a parlé aussi, de la nécessité d’un électrochoc. Parce que s’il ne se produit pas, il n’est pas exclu que dans quelques années on n’en soit pas revenu exactement au même point.
RT France : Est-ce que vous pensez que la gauche et la droite vont «se droitiser» pour séduire l’électorat du Front National ?
Jean-Yves Camus : Non. C’est ce que je disais après les attentats du 13 novembre : la gauche ne s’est pas droitisée. Elle a tout simplement pris acte d’une réalité absolument incontournable, à savoir qu’on est aujourd’hui dans une situation sécuritaire qui est extrêmement sérieuse avec un risque terroriste permanent. Effectivement, nous devons faire face à une crise des réfugiés qui est immaitrisable, simplement au plan national et qui requiert une prise en main par l’ensemble de l’UE qui actuellement ne fait pas le nécessaire. Oui, nous avons une situation internationale extrêmement compliquée qui attise une sorte de trouble identitaire notamment face à l’islam. Ce n’est pas la gauche qui s’est droitisée, c’est la gauche qui devient réaliste. Quant à la droite – est-ce qu’elle déplace le curseur vers la droite ? Oui, sans doute. C’est ce qu’on a pu voir dans les interventions de Nicolas Sarkozy dans l’entre-deux tours, c’est un discours de fermeté sur la souveraineté nationale, sur l’immigration, sur la sécurité, sur l’islam aussi. Mais attention, si Nicolas Sarkozy est réélu cette fois-ci il ne pourra pas - sauf à décevoir définitivement son camp et à voir son camp supplanté par le FN, il ne pourra pas faire autre chose que la politique de droite pour laquelle il aura été élu. Si la droite remporte la présidentielle en 2017, elle ne pourra pas gouverner au centre droit. Il faudra véritablement un coup de gouvernail.
RT France : Marine Le Pen est-elle capable de gagner la présidentielle en 2017 ?
Jean-Yves Camus : Au second tour non. Ses chances d’être au second tour existent, mais gagner au second tour – non. L’ampleur du barrage anti-FN sur la base des résultats de ce soir est trop important pour qu’ils puissent espérer l’emporter.
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