Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

Mandat d’arrêt contre Netanyahou : le coup de force de la CPI au nom d’une vision ultra-globaliste du monde

Mandat d’arrêt contre Netanyahou : le coup de force de la CPI au nom d’une vision ultra-globaliste du monde Source: AFP
Le procureur de la CPI Karim Khan (image d'illustration).
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La Cour pénale internationale estime être l'instrument du Bien absolu, au-dessus des États et du droit. Une prétention qui a pris au piège Washington, souligne Karine Bechet-Golovko dans sa dernière chronique.

Quand la Cour pénale internationale (CPI) a émis un mandat d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine, les États-Unis ont applaudi au nom du triomphe de leur «démocratie». Quand la CPI entend émettre un mandat d’arrêt contre le Premier ministre israélien Netanyahou, les États-Unis crient à la mise en danger de la sécurité globale. En effet, la CPI tente une sorte de coup d’État en voulant se libérer de la contrainte du droit international, obligeant que sa compétence soit reconnue par les parties. Elle estime être l’instrument du Bien absolu, au-dessus des États et du droit, devant assurer le règne de la dictature globale. Or, les États-Unis, en ouvrant la boîte de Pandore avec la Russie, ont oublié un peu vite, qu’ils étaient aussi, et avant tout, un État.

Le 20 mai, le procureur de la CPI Karim Khan a annoncé l’émission de mandats d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité à l’encontre de quatre responsables du Hamas, à savoir «Yahya Sinwar (chef du Mouvement de résistance islamique [Hamas] dans la bande de Gaza), Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri, plus connu sous le nom de DEIF (commandant en chef de la branche armée du Hamas, communément appelée «Brigades Al-Qassam») et Ismail Haniyeh (chef de la branche politique du Hamas)» et de deux responsables israéliens, à savoir «Benjamin Netanyahou, le Premier ministre d’Israël, et Yoav Gallant, ministre de la Défense d’Israël».

Rappelons qu’Israël ne reconnaît pas la compétence de la CPI, puisqu’elle n’est pas partie au Statut de Rome. De son côté, la Palestine a reconnu la compétence de la CPI en 2014 et celle-ci est effective depuis 2015. Mais soulignons que l’État palestinien est reconnu par 143 États, dont ne font pas partie les pays d’Amérique du Nord, une grande partie des pays européens de l’Ouest et en général ceux du G7. L’on voit bien ici une fracture idéologique et géopolitique.

Dans ce contexte, que vaut à leur égard la reconnaissance formulée par la Palestine de la compétence de la CPI, s’ils ne reconnaissent pas la Palestine ? Ces pays se trouvent dès lors confrontés à une double grille idéologique : d’une part, la sacralité de la CPI comme la déesse Thémis du monde global, dont la compétence ne se discute pas, et d’autre part Israël, comme État privilégié dans ce monde global. Nous sommes bien confrontés ici à deux conceptions de la globalisation : la globalisation dira-t-on classique, dans laquelle certains pays élus, dont les États-Unis et Israël, bénéficient du rare privilège de la souveraineté, et la globalisation radicale, dans laquelle tout État est soumis aux instances de gouvernance globaliste, puisque les États, quels qu’ils soient, sont en tant que tels inférieurs dans la hiérarchie de pouvoir.

La logique «globaliste» du procureur Khan

Le procureur Khan l’a parfaitement exprimé en tentant de justifier la compétence de la CPI, sur l’enquête lancée en 2021 sur le territoire palestinien, qui légitimerait automatiquement une compétence extensive de la CPI, dès qu’il s’agit de la Palestine. Cette compétence de la CPI serait celle d’une justice immanente, en dehors des contraintes classiques de la compétence des instances internationales fondée sur le droit international, c’est-à-dire entre les Nations, impliquant la reconnaissance préalable obligatoire et formelle de cette compétence par les États. Ce mécanisme international s’appuie sur le principe de souveraineté, qui confère la puissance, et dont seuls les États sont détenteurs. Cette logique veut ici être remplacée par celle de la globalisation, qui prévoit des impératifs supérieurs au droit international et aux États, et ainsi le glissement d’organes «internationaux» (entre les nations) vers des organes globaux (supérieurs au droit international et aux États). C’est exactement ce qui signifie cette déclaration de Karim Khan :

«Aujourd’hui, nous réaffirmons qu’aucun État ne peut se soustraire aux normes prévues par le droit international et le droit des conflits armés. Aucun soldat, aucun commandant, aucun dirigeant civil, nul ne peut agir en toute impunité. Rien ne peut justifier de priver délibérément des êtres humains, dont tant de femmes et d’enfants, de biens indispensables à leur survie. Rien ne peut justifier des prises d’otages ni de prendre délibérément pour cible des civils.»

Sur le fond, il n’y a rien à dire. Qui peut être contre la condamnation des exactions, qui peut souhaiter le massacre de civils, qui peut légitimer des traitements inhumains et dégradants ? Personne. Mais cela justifie-t-il en soi la compétence de la CPI, en dehors de toutes les règles juridiques existantes ? Non. Sinon, nous entrons dans une zone de non-droit et lorsque les rapports de droit disparaissent, alors commencent les rapports de force brute.

Mais comment se fait-il que, tout à coup, la CPI se sentent pousser des ailes au point de pouvoir se libérer des contraintes de reconnaissance imposées justement par le droit international ? Ce sont les États-Unis, qui crient si fort aujourd’hui, qui l’ont conduite sur cette voie.

La CPI, instrument au service des intérêts atlantistes  

Dès le départ, la CPI a été conçue comme un instrument permettant de garantir un certain ordre, servant les intérêts atlantistes et la vision globaliste. Comme le révèle le procureur Khan à CNN, un responsable américain lui aurait dit, je cite, que «ce tribunal est fait pour juger l’Afrique et les voyous comme Poutine». Autrement dit, il doit agir sur injonction, afin de préserver les intérêts américains, puisque ce sont eux qui dirigent ce monde globaliste, atlantico-centré.

Ainsi, lorsque les États-Unis se sont félicités des quatre mandats d’arrêt lancés contre le président russe Vladimir Poutine et trois autres responsables russes, ils ont validé une pratique permettant à la CPI d’agir contre des pays qui ne reconnaissent pas sa compétence. Comme elle vient de le faire contre Israël.

Or, le fait de passer ce que les politiciens américains appellent la «ligne rouge» en osant s’attaquer à Israël fait peur, car cela signifie que la CPI n’entend plus servir fidèlement les intérêts américains, elle se met au service d’une vision radicale de la globalisation, dans laquelle plus aucun État n’est légitime à être souverain, c’est-à-dire à limiter la puissance d’organes internationaux devenus globaux. Le président de la Chambre, Mike Johson, a parfaitement formulé le risque existentiel pour la Pax Americana en général et les États-Unis en particulier si la CPI va jusqu’au bout :

«Il est désolant que la Cour pénale internationale soit, semble-t-il, en train de planifier l’émission de mandats d’arrêt sans fondement et illégitimes contre le Premier ministre Netanyahou et contre d’autres hauts-responsables israéliens [...]. Une telle initiative sans foi ni loi viendrait saper directement les intérêts des États-Unis en matière de sécurité nationale. Si elle devait ne pas être défiée par l’administration Biden, la CPI se doterait d’un pouvoir sans précédent concernant l’émission de mandats d’arrestation contre les leaders politiques américains, contre les diplomates américains, contre les personnels militaires américains, mettant donc ainsi en péril l’autorité souveraine de notre pays.»

Nous sommes bien face à un combat de pouvoir, de gouvernance. Les États-Unis veulent recourir à la seule arme qu’ils semblent être en mesure de manier désormais, celle des sanctions. Cette fois-ci contre les juges de la CPI. La mesure serait assez cocasse, mais elle montre surtout, ici comme ailleurs, l’affaiblissement de leur système de gouvernance, puisqu’ils sont obligés de menacer et de sanctionner et cela sans toujours produire, et de loin, les effets attendus. Cette faiblesse a été sentie par ce nouveau centre émergent de pouvoir, le monstre radical enfanté par les globalistes.

États-Unis et Russie unis sur un point : la défense de leur souveraineté

Et ici aussi la fracture s’installe entre les autorités nationales et les organes de gouvernance globale. Si les gouvernants nationaux sont assez frileux quant à l’application d’une telle mesure, les responsables de l’UE incitent à se plier sans rechigner. Ainsi, bien que la plupart des élites européennes soient incapables de réfléchir autrement qu’en prenant partie pour la Palestine ou Israël, l’Allemagne soulève la question de la compétence de la CPI en la matière, rappelant qu’il lui faudra bien y répondre.  «La Cour devra répondre à un certain nombre de questions difficiles, y compris la question de sa compétence et de la complémentarité des enquêtes des États de droit concernés, comme Israël», estime Berlin, Israël n’étant pas État partie de la CPI. Comme les États-Unis, l’Allemagne ne s’était pas posée la question pour les mandats adoptés par la CPI contre les personnalités russes, puisque la Russie est l’ennemi. Le droit de l’ennemi permet, dans cette logique, de se passer des garanties juridiques. Ces pays ne pensaient pas qu’ils pourraient eux-mêmes devenir «ennemis» : ennemis du monde global, dont la fuite en avant continue en toute logique vers l’anéantissement des derniers États prétendant à la souveraineté et au pouvoir. Ce que Borrell, digne représentant de cette branche dure et fanatique de la globalisation, incarne en affirmant l’indépendance de la CPI (de qui ?) et donnant pour injonction l’exécution aveugle de ses décisions : «Tous les États qui ont ratifié les statuts de la CPI sont tenus d’exécuter les décisions de la Cour.»

Le monde est face à un danger d’une ampleur encore inconnue et dans ce combat, les États-Unis et la Russie se trouvent dans le même camp : celui des États, qui entendent défendre leur souveraineté. Si les responsables américains finissent par comprendre que la guerre qu’ils mènent en Ukraine est une erreur stratégique, voire existentielle pour eux, puisqu’elle légitime la fin des États (dont ils font partie) et le transfert du pouvoir vers des institutions non démocratiques supra-étatiques, alors qu’ils ne sont plus en mesure de les contrôler, une alliance sacrée avec la Russie pourrait permettre de sortir de cette crise et de refonder les relations entre les pays sur des bases plus équitables ... et plus pacifiques. Mais y a-t-il encore aux États-Unis des élites politiques et gouvernantes suffisamment fortes pour sortir de cette matrice ultra-globaliste ?

 

 

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