Chute d'un missile en Pologne : la piste d'un projectile antiaérien ukrainien se confirme
Le ministère russe de la Défense a affirmé n'avoir rien à voir dans la chute d'un missile en Pologne. La thèse a été appuyée par Washington, dont le Kremlin a salué la réaction «pleine de retenue», puis par Varsovie elle-même.
Les interrogations et inquiétudes suscitées par les déclarations alarmistes de Varsovie et de Kiev au sujet de la chute d'un «missile russe» à Przewodów le 15 novembre, près de la ville de Lublin, non loin de la frontière ukrainienne, ont été en partie levées le lendemain après les mises au point successives de Moscou, Washington, Varsovie et de l'OTAN.
Le ministère russe de la Défense confirme avoir mené «une frappe massive avec des armes de haute précision» contre une série de cibles en Ukraine, mais a tenu à souligner que celles-ci ont «été effectuées uniquement sur des cibles situées sur le territoire de l'Ukraine et à une distance d'au moins 35 kilomètres de la frontière ukraino-polonaise».
Et, d'après l'analyse des photographies des restes du missile publiées par la Pologne, les experts militaires russes ont conclu que ceux-ci appartenaient à un «missile guidé antiaérien du complexe de défense aérienne S-300 des forces armées ukrainiennes», confirmant ainsi les déclarations faites immédiatement après l'annonce de l'incident. Par conséquent, les accusations portées par Kiev, qui avait immédiatement évoqué des «missiles russes», constituent une «provocation délibérée visant à aggraver la situation», selon le ministère.
Le Kremlin salue la réaction «professionnelle» et «pleine de retenue» de la Maison Blanche
Si ces systèmes antiaériens équipent aussi les forces armées russes, le président américain Joe Biden lui-même s’est exprimé depuis le sommet du G20 à Bali (Indonésie) et a estimé qu'il était «improbable» que le missile ait été tiré depuis la Russie. Selon une source de l'OTAN citée par Reuters, le président des Etats-Unis aurait même explicitement fait savoir aux membres du G7 et de l'Alliance atlantique qu'un missile antiaérien ukrainien était en cause dans la mort des deux citoyens polonais.
Cette déclaration a été accueillie positivement par le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov, qui a réaffirmé que «la Russie n'a rien à voir avec l'incident» devant la presse, ce 16 novembre. Il a salué «la réaction pleine de retenue et plus professionnelle de la partie américaine», en comparaison de la «nouvelle réaction russophobe hystérique et effrénée, qui ne reposait sur aucune donnée réelle» de «hauts représentants de plusieurs pays qui ont fait des déclarations sans avoir aucune idée de ce qui s’était passé».
Le porte-parole de la présidence russe a d'ailleurs lancé une pique au passage en rappelant que Moscou aurait préféré «entendre une réaction aussi émotionnelle – et même émotionnellement surchargée – [...] dans le cas du sabotage sur les gazoducs sous-marins Nord Stream», autre affaire dans laquelle la Russie a été accusée par une série de pays. «Il n’y a pas eu alors de réaction semblable», a-t-il relevé, en déplorant «le silence qui est soigneusement gardé autour de ce sujet».
En fustigeant une réaction à l'emporte-pièce d'une série de capitales européennes, Dmitri Peskov a fait allusion aux propos très rapidement tenus par l'Estonie et la Lettonie, la première s'étant dite «prête à défendre chaque pouce du territoire de l'OTAN» face à cette supposée attaque russe, tandis que la seconde s'était hâtée de prétendre que «le régime criminel russe avait tiré des missiles qui ne ciblent pas seulement des civils ukrainiens, mais ont aussi atterri sur le territoire de l'OTAN». Si un tir délibéré depuis le territoire russe avait été confirmé, le risque d'un élargissement majeur du conflit ukrainien aurait en effet été dans la balance, la Pologne ayant rejoint l'Alliance atlantique depuis 1999. «Il ne faut jamais se hâter de donner des évaluations, de faire des déclarations qui peuvent exacerber la situation, en particulier dans de tels moments critiques», a exhorté Dmitri Peskov.
La Pologne confirme la piste d'un missile ukrainien, l'OTAN écarte une «attaque délibérée» mais refuse d'incriminer Kiev
Le président polonais Andrzej Duda avait pour sa part été plus prudent en déclarant au soir du 15 novembre qu'il n'existait pas de «preuve univoque» sur l'origine du tir, ajoutant toutefois que le missile était «très probablement de fabrication russe». Il a estimé le lendemain qu'il était «hautement probable» que le missile provienne de la défense aérienne ukrainienne. «Rien n'indique qu'il s'agissait d'une attaque intentionnelle contre la Pologne», a expliqué le président polonais. «Il y a une forte probabilité qu'il s'agisse d'un missile qui a simplement été utilisé par la défense antimissile ukrainienne», a-t-il poursuivi, ajoutant qu'il s'agissait «probablement [d']un accident malheureux, hélas». Le dirigeant a précisé qu'un missile de fabrication russe de 1970 était en cause, parmi d'autres projectiles tirés par le système de défense antiaérienne ukrainien «dans différentes directions», missile qui a ensuite chuté sur le village polonais.
Cette mise au point d'Andrzej Duda a été commentée par la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova sur Telegram, qui a évoqué «l’hystérie des fonctionnaires et des hommes politiques polonais» qui a eu cours depuis la veille. «Les organismes polonais qui se sont permis des attaques antirusses et ont convoqué l’ambassadeur [Sergueï] Andreïev à minuit ne veulent-ils pas présenter leurs excuses ?», a-t-elle interrogé.
Jens Stoltenberg, le patron de l'Alliance atlantique, s'est également exprimé sur le dossier, affirmant qu'il n'existait «pas d'indication d'une attaque délibérée» qui aurait visé la Pologne. «Notre analyse préliminaire suggère que l'incident a été probablement causé par un missile de système ukrainien de défense anti-aérienne tiré pour défendre le territoire ukrainien contre les missiles de croisière russes», a-t-il déclaré lors d'une conférence de presse tenue à Bruxelles le 16 novembre. «Une enquête sur cet incident est en cours et nous devons attendre ses résultats», a précisé Jens Stoltenberg, en ajoutant cependant que «ce n'est pas la faute de l'Ukraine» et que «la Russie porte la responsabilité ultime» de l'incident «alors qu'elle poursuit sa guerre illégale contre l'Ukraine». Le secrétaire général de l'OTAN a réaffirmé le soutien de l'Alliance à Kiev dans son «droit à l'auto-défense» et sa pleine solidarité avec la Pologne.
La version de Moscou a également été confortée par la ministre de la Défense belge, qui a évoqué plus tôt le même jour plusieurs «explosions» survenues sur le territoire polonais. «Sur la base des informations disponibles, il s'agirait de débris de missiles russes et de missiles ukrainiens de défense anti-aérienne qui ont touché le sol polonais», a indiqué Ludivine Dedonder. Précisant que les analyses se poursuivaient pour déterminer l'origine des tirs, ainsi que les objectifs que ces missiles devaient atteindre, elle a souligné que «rien n'indique [...] qu’il s'agisse d’une attaque délibérée sur un ou des objectifs polonais». Le service de renseignement belge «reste en contact direct avec les services partenaires de l'OTAN», a ajouté la ministre belge, appelant elle aussi à la prudence sur les conséquences à tirer de l'incident.
La version de Kiev battue en brèche
Cette série de déclarations, émanant de ses alliés les plus directs, vient affaiblir considérablement les allégations de Kiev, qui avait sauté sur l'occasion pour accuser Moscou et réclamer davantage de soutien dans le conflit qui oppose les deux pays. Le 15 novembre, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a accusé la Russie d'avoir tiré lesdits missiles sur la Pologne, en qualifiant cette attaque présumée «d'escalade très importante» ayant frappé «le territoire d'un pays allié». Après avoir présenté ses condoléances à son homologue polonais Andrzej Duda au téléphone le 15 novembre, le dirigeant a déclaré dans un tweet que «l'Ukraine, la Pologne, toute l'Europe et le monde doivent être entièrement protégés de la Russie terroriste ». Puis s’adressant au G20 le 16 novembre, il a estimé que ce missile tombé en Pologne «n'est rien d'autre qu'un message de la Russie adressé au sommet», en la qualifiant à nouveau d’«Etat terroriste» contre lequel «il faut se défendre».
Le ministre des Affaires étrangères ukrainien, Dmytro Kuleba, après avoir demandé une réunion «immédiate» de l'Alliance atlantique à la suite de l'annonce de la chute du missile, avait pour sa part qualifié sur Twitter de «théories du complot» les allégations selon lesquelles un missile ukrainien et non russe serait tombé en territoire polonais.
Le 16 novembre, Oleksiï Danilov, secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense ukrainien, a demandé, sur le même réseau social, que l'Ukraine puisse avoir «un accès immédiat au site de la frappe pour les représentants de la Défense et des garde-frontières», et finalement réclamé «un examen conjoint de l'incident».
Les tensions suscitées par l'incident, qui ont conduit la Pologne à se placer en état d'alerte, sont néanmoins loin de s'être totalement atténuées : Berlin a proposé le 16 novembre de soutenir Varsovie avec des patrouilles aériennes après la chute meurtrière du missile. «En réaction aux événements [...], nous allons offrir à la Pologne des patrouilles aériennes avec des Eurofighters allemands», a déclaré un porte-parole du ministère allemand de la Défense, Christian Thiels, lors d'un point presse tenu dans la capitale allemande, sans préciser le nombre d'appareils qui serait fourni.