Destruction de l'«arsenal chimique» syrien : faudra-t-il croire Jean-Yves Le Drian sur parole ?

Destruction de l'«arsenal chimique» syrien : faudra-t-il croire Jean-Yves Le Drian sur parole ?
Un pompier syrien intervient, sans protection, sur les ruines fumantes du centre de recherche scientifiques de Barzeh le 14 avril 2018, photo ©Omar Sanadik/Reuters
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A l'appui de leurs frappes, les Occidentaux ont affirmé que Damas était encore en possession d'armes chimiques, une capacité qu'il aurait fallu détruire. Mais les supposées preuves auraient donc, par définition, été détruites... par les Occidentaux.

L'argumentation de Paris ne fait pas l'unanimité. En témoigne le vif échange entre Edouard Philippe et des députés critiques des frappes françaises en Syrie le 16 avril, alors que le Parlement n'avait pas été consulté. En témoigne aussi l'intervention mouvementée d'Emmanuel Macron, le lendemain 17 avril, devant le Parlement européen.

Trois jours plus tôt, le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian se voulait pourtant convaincu et convaincant. «Les objectifs qui avaient été fixés ont été atteints [...] Une bonne partie de son arsenal chimique a été détruit», avait-il déclaré à propos de la Syrie, quelques heures après les frappes occidentales. «Nous avons des renseignements fiables qui montrent que ce sont les forces armées syriennes qui ont managé l'opération [de l'attaque chimique présumée à Douma le 7 avril]», avait encore affirmé le chef de la diplomatie française. Et l'ex-ministre de la Défense de François Hollande d'ajouter : «Il y a une ligne rouge qu'il ne faut pas franchir et si d'aventure elle était refranchie, il y aurait une autre intervention.» «Mais je pense que la leçon sera comprise», a-t-il encore asséné, professoral, sur le plateau de BFMTV.

Cette posture semble présenter un double avantage pour la France : si aucune attaque chimique ne se produit à l'avenir en Syrie, elle et ses alliés pourront s'en attribuer le mérite. Mais, dans le même temps, les Occidentaux se ménagent aussi la possibilité de frapper la Syrie en cas de soupçons de nouvelles attaques, qui pourraient être basés comme pour l'attaque présumée de Douma, sur des informations des Casques blancs, de la Syrian American Medical Society (SAMS), basée non pas en Syrie mais à Washington, ou du controversé Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) dirigé lui depuis le Royaume-Uni.

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Le centre de recherches de Barzeh, créé avec l'aide de la France, site de production d'armes chimiques ?

Mais si l'arsenal chimique présumé de la Syrie a été détruit, comment démontrer son existence, préalablement aux frappes, qui auraient, par définition détruit ce même arsenal ? A moins de croire sur parole la diplomatie française, qui dit s'appuyer sur des conclusions du renseignement basées notamment sur la presse et les réseaux sociaux, la question se pose.

Parmi les sites touchés par les missiles occidentaux, on note un centre de recherches, à Barzeh, quartier du nord-est de Damas au pied des montagnes de l'Anti-Liban. Une infrastructure autour de laquelle le mystère demeure.

Comme le rappelle le grand reporter au Figaro et expert du Moyen-Orient Georges Malbrunot, ce centre scientifique a été créé dans les année 1970 avec l'aide de la France. «Ce n'était pas un laboratoire chimique, simplement un bâtiment avec des salles de classe pour étudiants et des bureaux. Cette histoire d'armes chimiques est une mascarade», estime un Syrien présenté par Le Figaro comme un familier de ce centre. Et Georges Malbrunot de préciser : «Ce fut longtemps l'un des aspects les moins connus de notre coopération avec la Syrie de Hafez el-Assad, le père de l'actuel président.»

La Syrie sous étroite surveillance de l'OIAC depuis 2013

Pour Anton Outkine, ancien inspecteur des Nations unies en Irak et spécialiste des armes chimiques, les Etats-Unis devaient être au courant de l'absence d'armes chimiques à Barzeh.

«Ce centre de recherches scientifiques a été inspecté plusieurs fois par des experts de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques [OIAC]» rappelle-t-il, interrogé par RT. L'organisation basée aux Pays-Bas a en effet été chargée à partir de 2013 de superviser le démantèlement du stock d'armes chimiques présent en Syrie, achevé en janvier 2016. L'OIAC avait alors garanti que la totalité de l'arsenal chimique avait bien été détruit.

«Qui plus est la décision a été prise de mener de telles inspections deux fois par an», souligne encore Anton Outkine, insistant sur le fait qu'après avoir «tout retourné et tout mis sens dessus dessous», l'OIAC n'avait rien trouvé si ce n'est la présence d'amines, un produit chimique n'entrant pas dans la composition d'armes chimiques mais qui peut, effectivement, être utilisé pour la seule stabilisation de telles armes. Mais un composant qui peut, aussi, entrer dans la composition... de détergents et de produits ménagers.

Si les frappes avaient touché des stocks de chlore ou d'agent neurotoxique, ils se seraient répandus

Autre interrogation : le risque de frappes menées dans une zone urbaine dans le cas de la présence de stocks de produits chimiques. Pour le professeur Valery Petrossian, membre de l'Académie russe des sciences naturelles et ancien expert en armes chimiques auprès des Nations unies, également interrogé par RT, une telle prise de risque n'est tout simplement pas réaliste. «Il est évident que si les frappes [occidentales] avaient touché des stocks de chlore ou d'agent neurotoxique, ils se seraient répandus», explique-t-il. Or, dans ce quartier très dense du grand Damas, aucune victime collatérale par intoxication n'a été pour l'heure rapportée.

Alexandre Keller

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