Philippe Migault revient pour RT France sur le retrait des Etats-Unis du traité Open Sky qui permet de vérifier les mouvements militaires et les mesures de limitation des armements des pays signataires.
Face au déclin, nations et civilisations sont inégales. Il y a celles qui, résumait de Gaulle, « n'ont plus assez de forces pour se tenir debout et qui se couchent pour mourir. » Et il y a celles qui, refusant la défaite, se battent de toutes leurs forces, se raidissent dans l’adversité. Les Etats-Unis appartiennent à la seconde catégorie. Exerçant le leadership mondial depuis 1945, convaincus de la « destinée manifeste » de leur peuple, cultivant le culte de la compétition et du « battant », les Américains entendent conserver leur suprématie économique et militaire, de plus en plus contestée par la Chine, la Russie et un paradigme international s’orientant inéluctablement vers un monde multipolaire.
Dans ce cadre, ils entendent s’affranchir de toute règle de droit international susceptible d’entraver leur liberté d’action, contrarier leurs intérêts. Trump a été élu pour cela.
Elu parce qu’il avait promis de redresser l’industrie américaine par une série de mesures protectionnistes, en s’affranchissant si nécessaire des accords commerciaux signés par son pays.
Elu parce que ses slogans, « America first », « makeAmericagreatagain », jouant du patriotisme des électeurs, annonçaient sans ambages son intention, non seulement de redresser les Etats-Unis, mais de leur permettre de dominer leurs rivaux de la tête et des épaules.
Elu parce qu’il n’a jamais fi de ses mœurs et de ses méthodes brutales de businessman, pour lequel seul le résultat compte et se souciant comme d’une guigne du droit, des susceptibilités de ses alliés ou du durcissement de ses adversaires.
Le retrait américain du traité Open skies, annoncé le 21 mai dernier, n’a donc rien de surprenant. Il s’inscrit dans la droite ligne de la politique de Trump, taillée pour la Rust-Belt, brute de fonderie, laminée à froid. Washington s’est retiré le 3 mai 2018 de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, en février 2019 du traité FNI sur les missiles à portée intermédiaire, Open skiesn’est qu’une étape supplémentaire du processus de dérégulation engagé par le Président américain, en attendant que le traité New Start devienne caduque à son tour en février prochain.
Il serait malhonnête toutefois d’attribuer tous les torts au seul Trump. Si celui-ci bat des records, il ne fait que s’inscrire dans la lignée de ses prédécesseurs qui, tous, ont violé le droit international. Le retrait d’Open skies fait suite à celui du traité ABM en 2002 par l’administration Bush, ou à la violation de la résolution 1144 sur le Kosovo du conseil de sécurité des Nations Unies par Bill Clinton. Pour les Etats-Unis les choses sont simples depuis 1992 : le garde-fou de la superpuissance soviétique disparue, la force prime le droit.
Le dernier traité ayant entériné la fin de la guerre froide enterré, et le peu de cas que fait Washington du climat de confiance qu’ils apportaient une fois encore démontré, quelles seront les conséquences de la fin d’Open Skies ?
Au-delà d’une défiance encore accrue entre Russes et Américains, elle sera somme toute de peu d’importance pour la Maison Blanche et le Kremlin. Open Skiesleur permettait de survoler le territoire de l’autre afin de s’assurer qu’il respectait bien les accords de désarmement en vigueur. Ceux-ci rompus, il n’a plus grand sens. D’autant que la Russie et les Etats-Unis disposent des instruments satellitaires leur permettant de s’observer l’un l’autre en permanence et conservent en conséquence des capacités de renseignement suffisantes.
C’est en revanche beaucoup plus ennuyeux pour les 33 autres Etats signataires du traité ne possédant pas de tels moyens.
Dix Etats Européens ont ainsi appelé Donald Trump à revenir sur sa décision, estimant qu’Open Skies demeurait un outil indispensable, indépendamment des accusations d’entorses au traité que s’adressent mutuellement Russes et Américains. Parmi ces pays, on retrouve la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique qui, pourtant, ont consenti de vrais efforts financiers afin de se doter des outils d’observation leur permettant de ne plus être, comme par le passé, dépendant des images américaines.
Leur désarroi, au-delà de leur effarement devant ce nouveau coup de force unilatéral de Trump, en dit long sur l’incapacité de l’Europe à se défendre seule malgré les sempiternels discours en faveur d’une défense européenne. Que Trump soit réélu et peut-être, enfin, l’Europe se dotera-t-elle des moyens de son autonomie stratégique et d’une politique de défense indépendante.
Philippe Migault
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