Le médecin est-il le gourou tant attendu du XXIe siècle ?

Le médecin est-il le gourou tant attendu du XXIe siècle ?© GERARD JULIEN Source: AFP
Le professeur français Didier Raoult, biologiste et professeur de microbiologie, spécialiste des maladies infectieuses et directeur de l'Institut des infections de l'IHU Méditerranée, le 26 février 2020.
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Anarchiste par caractère, le médecin arrivé en fin de carrière est, pour le pouvoir, un concurrent dangereux. Analyse par Philippe Bornet, ancien journaliste, écrivain et essayiste.

Qui douterait que le médecin ne soit dépositaire d’une autorité ? Depuis le Moyen-Age, n’est-il pas vêtu d’une robe professorale comme l’évêque ou le juge? Ne portait-il pas perruque ? Ne prête-t-il pas serment solennellement ? N’est-il pas libre de pénétrer dans votre chambre, la lancette ou le clystère à la main ? Ne lui avez-vous pas confié des secrets que vous ne confieriez à personne d’autre ?

Or le souverain ne peut se faire obéir que s’il dispose de la force (Potestas) mais aussi de l’autorité (Auctoritas). Lorsque sa propre autorité est défaillante, la tentation est grande pour le politicien de se revêtir de celle des autres : prêtres, saints ou héros, artistes ou même saltimbanques. «Quel artiste meurt avec moi !»sont les dernières paroles de Néron : le maître du monde ambitionnait la gloire des chanteurs et des gladiateurs.

Or dans un monde presque entièrement sécularisé, sans repères religieux, le médecin est, avec le philosophe et le sportif, un candidat naturel au gourouisme laïc, dispensant son enseignement sur la recherche, l’organisation de la médecine, le transhumanisme, les régimes amaigrissants et la santé par les omégas-3.

A Marseille, un professeur encore inconnu du public l’an passé, la Pr Didier Raoult a été poussé sous les projecteurs. Il faut dire que Didier Raoult possède une subtilité grecque de Marseillais qu’il n’est pas (père normand et mère bretonne). Il s’est composé un profil de sage druide avec ses cheveux blancs et longs, sa moustache qu’il aime caresser en parlant, ses lunettes professorales et sa blouse immaculée. Il sait utiliser les moyens modernes encore libres, par exemple la chaîne YouTube. Comme le clinicien qu’il est, il parle clairement et par images à un public ravi : des mots simples (soigner, médicament, écouter, réconforter). Parfois il se moque, comme dans sa description de l’essai en double aveugle appliqué à l’étude du parachute (cinquante morts parmi les chuteurs sans parachute, nombre identique de vivants chez les porteurs de parachutes), parfois il provoque («Cinq fois plus de morts à Paris qu’à Marseille : posons-nous des questions sur la gestion de l’épidémie»).

Le «comité scientifique» désire le faire rentrer dans son sein, il s’en éloigne, sous un prétexte. Son CV est inattaquable : dans les années 1980, il découvre le moyen de cultiver les rickettsies, à l’occasion de l’épidémie de SRAS, il a réfléchi à un plan pour lutter contre les nouvelles épidémies, il a fait construire le nouveau bâtiment de l’IHU Méditerranée infection, découvert les mimivirus, donné son nom à deux germes, et le site Expertscape l’a classé premier médecin expert pour les maladies transmissibles en 2020. Finalement c’est le président de la République lui-même qui se déplace pour visiter l’Institut hospitalo-universitaire.

«La courbe en cloche, explique le Pr Raoult est celle typique de toutes les épidémies. La plupart du temps, ça se passe comme ça (…) L’histoire du rebond c’est une fantaisie inventée à partir de la grippe espagnole qui était repartie en été mais ça n’a rien à voir. (…) Les épidémies accélèrent, culminent et elles diminuent sans qu’on sache trop pourquoi».

«Sans qu’on sache trop pourquoi» : probablement parce qu’à force de muter, le virus perd de sa virulence. Comme cet aveu d’ignorance semble pénible à la plupart des experts et comme il est réconfortant d’entendre cette humilité chez un clinicien doublé d’un scientifique !

Le 15 avril 2020, le président rend donc hommage à ce «grand scientifique», Emmanuel Macron se montre à ses côtés, il insiste pour que son protocole de soin soit testé comme les autres. Raoult a soigné trop de politiciens, rendu service à trop de notables, renvoyé des ascenseurs à trop de journalistes pour être négligé. N’aurait-il pas soigné la fille de Brigitte Macron ? Le bruit, pourtant plusieurs fois démenti, continue de courir. Raoult est devenu un passage obligé. Il faut le prendre avec soi (ou l’avoir contre soi) et l’intégrer dans le plan de communication générale.

Pour un politicien, le médecin est toujours un concurrent dangereux et un obstacle. Veut-on le contrôler, il alerte ses patients et crie au scandale, à l’atteinte des libertés, au complot pour étouffer les pauvres et les empêcher de se soigner. Le politicien cherche à séduire une opinion que le médecin a déjà conquise. Le politicien se pose en ami du citoyen alors que le médecin a déjà sa confiance. Le politicien s’efforce de serrer la main  d’un électeur qui a convoqué le médecin dans son intimité. Le médecin parle simplement à chacun quand le politicien communique avec tout le monde. Heureusement pour le politicien, le médecin n’a guère de temps pour se présenter aux élections, car celui-ci fait sa campagne tous les jours et croise cinquante personnes qui demain glisseraient son nom dans l’urne. Dans les départements ruraux, les conseils généraux étaient autrefois peuplés de vieux médecins qui y finissaient leur retraite. L’anecdote rapporte que leurs cuisines étaient aussi remplies de jambons parfumés, offerts par des patients reconnaissants. Qui diable voudrait se mettre mal avec un homme qui rend vingt services par jour aux concierges et aux patrons de cabaret ?

Heureusement, le médecin est un électeur aussi naïf qu’un autre.  Le politicien lui offre des médailles. Le professeur aime voir une rosette marquer de son écarlate le revers de sa blouse blanche.  Il quémande aussi des crédits pour s’acheter du matériel, des nominations aux comités Théodule. Le matin, telle sommité de la médecine, passe en son service, brandissant son foudre comme Jupiter, qui l’après-midi, vient grossir le troupeau des éléphants blancs de l’Assistance publique, rodant dans les couloirs du ministère, modestes et patients,  attendant le tour de leur convocation et la distribution des cacahuètes, assis sur le bord d’un tabouret. La collocation des grades universitaires qui lui est confiée par le pouvoir est l’appât qu’il convoite le plus. Avantager ses élèves et saboter l’avancement de ses concurrents est le B-A BA d’une carrière.

Un cas particulier est celui du médecin trop proche de la retraite pour ne pas avoir son franc-parler. Son titre et ses fonctions sont acquises, sa bibliographie est rédigée, sa participation aux sociétés savantes effective. Son statut lui garantit son emploi.  Pourquoi se priverait-il de donner son avis ? Tel l’octogénaire Pr Luc Montagnier, prix Nobel vivant en Chine, qui soutient la thèse du Covid-19 issu d’un accident de laboratoire chinois. Tel le Pr Philippe Juvin, qui dispose d’appuis politiques chez Les Républicains, et ne se prive pas de critiquer le gouvernement, sa gestion de crise et sa politique hospitalière. Tel Raoult lui-même qui règle au passage un vieux compte avec l’INSERM et son ancien PDG, Yves Lévy.

Dernier rebondissement : l’article du Lancet. Cet article a-t-il été imposé par l’industrie pharmaceutique comme le suggérait monsieur Douste-Blazy, ancien ministre de la Santé sur BFM TV ? A seul fin d’être repris ad nauseam par les réseaux sociaux ? A-t-il été instrumentalisé par monsieur Olivier Véran pour tenter une fois de plus d’interdire la chloroquine dont le Conseil d’Etat a pourtant reconnu la possibilité de prescription par les médecins ? Le Pr Philippe Froguel, professeur au CHU de Lille et à l’Imperial College de Londres se démarque nettement : «…l’article du Lancet pose de gros problèmes. Les données sont trop bizarres, pas fiables. On ne sait même pas exactement d’où elles viennent, comment ils se les sont procurées. Ce papier est une merde en grande partie fabriquée par une firme inconnue  qui voulait se faire de la pub.»

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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