Les Européens se méfient du CETA et s'y opposent, parce que les traités de ce genre sont en réalité un transfert de pouvoir à des entités non-élues, comme l’UE, l’OTAN, ou les tribunaux arbitraux, estime l'essayiste belge Jean Bricmont.
RT France : Comment expliquez-vous que la Wallonie s’oppose au CETA ?
Jean Bricmont (J. B.) : Comme le disent beaucoup, l'opposition au CETA est très large. En Wallonie il y a une majorité de gauche au Parlement, c’est-à-dire qu'il y a les socialistes, les écologistes, les communistes, le Parti du travail de belgique (PTB), les chrétiens-démocrates qui ont voté avec eux... soit la majorité. A mon avis, on était sous la pression d’une partie du PTB d’extrême gauche, ces 14% q'on trouve dans les sondages, ce qui est inouï dans l'Europe d'aujourd’hui. Le Parti socialiste est obligé de faire attention au fait qu’il y a depuis un certain temps une poussée des associations, des syndicats et des ONG contre le CETA. Après, je ne sais pas s’ils vont tenir. Car la Wallonie reçoit de l’argent de l’Europe et de la Flandre - il y a des moyens de pression, et je ne sais pas combien de temps cela va durer. Pour l’instant, elle a l’air de tenir. Et pour les socialistes qui sont au pouvoir, c’est très difficile de reculer, parce qu'ils sont sous pression du PTB, qui est un peu une sorte de Parti communiste. Je pense aussi que ce qui explique la particularité de la situation est le fait qu’en Belgique a été décidé que ce genre de traités devaient être ratifiés par des différentes instances régionales, les Flamands, les francophones, etc. On a donné des pouvoirs à l’Etat fédéral, mais ces décisions internationales doivent être acceptées aussi par les assemblées fédérées, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. En Allemagne, je ne pense pas que les länder aient le droit de décider de grand chose. En Suisse les cantons non plus. C’est une anomalie de nos règlements, ce n’est pas la même chose ailleurs. Ailleurs, je pense qu’il n’y a pas eu de tel débat, de telle pression sur le Parlement, ou bien les parlements n’ont tout simplement pas le droit de décider.
Le Brexit, l’opposition au CETA et au TTIP, la montée de l’extrême droite en Europe, cela fait partie des mêmes mouvements de démondialisation
RT France : La position de la Wallonie peut-elle faire capoter le CETA ?
J. B. : Théoriquement, oui, parce qu’il faut l’unanimité des Etats. Mais ils vont trouver une façon de faire accepter la Wallonie, en faisant des concessions particulières. Ils vont essayer de sauver l’essentiel du CETA, en faisant des aménagements. Evidemment, il est possible que la Wallonie soit le point de départ d'une lutte contre le CETA, qui est déjà un peu la préparation du TTIP. Il y a beaucoup de gens contre le TTIP et contre le CETA. Je pense, que le Brexit, l’opposition au CETA et au TTIP, la montée de l’extrême droite en Europe, en Hongrie, en Pologne... font partie des mêmes mouvements, ce ne sont pas les mêmes idéologies, mais participent au même mouvement de démondialisation. Les gens sont contre l’idée de mondialisation, c’est ce que la gauche ne peut jamais comprendre. Ces traités sont en fait un transfert de pouvoir à des entités non-élues, comme l’UE, l’OTAN, les tribunaux arbitraux. Il y a donc une méfiance. Je pense que les journaux français comme Le Monde, Libération - qui sont ce que j'appelle les libéraux de gauche - vont être extrêmement mécontents. La Russie aussi est un exemple de démondialisation, de recouvrement de la souveraineté populaire. C’est quelque chose qui, pour l’instant, à 90%, est le fait de la droite ou de l’extrême droite. Les gens qui sont anti-CETA ne comprennent pas qu'il s'agit là d'un même mouvement.
Il y a une méfiance généralisée à l’égard de ce genre de traités
RT France : Donald Tusk a dit qu’il avait essayé de faire pression sur la Belgique, car l’échec du CETA pourrait compromettre tout accord commercial avec d’autres pays à l’avenir, et qu’il redoutait que le CETA puisse être le dernier accord de libre échange de l’UE…
O. D. L. : Le problème de ces acteurs est qu'ils ne sont pas transparents. En outre, au moment, par exemple de l'ALENA (entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique), il y avait des propositions des syndicats en faveur d’un accord de libre-échange, mais avec des garanties sociales et environnementales. C’était tout à fait maîtrisé. La question est donc effectivement qui va négocier cet accord et dans quel esprit. Il est clair que l’esprit est de renforcer le pouvoir des entrepreneurs, de la petite branche des entrepreneurs par rapport aux Etats, aux travailleurs, par des mise en concurrence, etc. Pendant des décennies, une rhétorique libérale et néo-libérale l’a emporté, et, maintenant, on y voit une opposition populaire. Mais c'est aussi une opposition à l’ouverture des frontières, et d’autres choses que la gauche réclame.
[...] Je pense qu’il y a une méfiance généralisée à l’égard de ce genre de traités. Ces traités sont en train d’être lus, il y a un expert qui les lit, et un autre expert qui les lit... et ces experts ne disent pas la même chose. C’était la même chose avec l'Union européenne, les pouvoirs publics ne se rendent pas compte que quand on livre des traités extrêmement compliqués, les parlements ne peuvent plus décider. Les parlements ne sont pas compétents - et ce n'est plus un système démocratique. Même le Parlement européen n’est pas tout à fait compétent. Il est déjà plus dans l’idéologie supranationale.
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