Les élites occidentales sont dysfonctionnelles. Le récent sommet de l’OTAN en témoigne

Les élites occidentales sont dysfonctionnelles. Le récent sommet de l’OTAN en témoigne© Matt Rourke Source: AP
Le président américain Joe Biden s'exprime lors d'une conférence de presse à l'issue du sommet de l'OTAN à Washington, le 11 juillet 2024 (photo d'illustration).
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Face au plus grand défi des dernières décennies et au besoin de faire des choix importants qui détermineront l’avenir du monde occidental, le bloc recourt à des déclarations fracassantes et à des actes factices.

Il y a 34 ans, l’Union soviétique s’effondrait et l’Occident était convaincu que cela marquait «la fin de l’Histoire». Le libéralisme occidental, supposaient-ils, était l’apogée du développement historique et serait peu à peu adopté par tous les pays. Ils croyaient également que l’OTAN en serait le fer de lance. 

Cette doctrine idéologique a naturellement donné naissance à l’idée d’une expansion infinie : puisque l’Occident montre la voie vers l’idéal et dispose des organisations mondiales nécessaires pour cela, tout le monde devrait s’efforcer de le rejoindre. Comment pourrait-il en être autrement ?

À l’époque, il était en effet logique pour les pays de l’ancien bloc soviétique et les pays en voie de développement d’adhérer aux organisations économiques contrôlées par l’Occident, qui leur promettaient un marché commun, des prêts, des investissements, des règles commerciales, et cætera.

Dès le début, nombreux ont été ceux qui se sont rendus compte que cela ressemblait beaucoup à une colonisation économique, mais, comme tout colonisateur, les États-Unis ont d’abord convaincu leurs nouvelles colonies qu’elles bénéficieraient de tous les avantages d’une grande civilisation. C’était logique, et de nombreux pays ont exprimé le désir de rejoindre le monde occidental.

Pour les États d’Europe de l’Est, l’idée d’adhérer à l’Union européenne avait encore plus de sens. Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell avait un jour comparé l’Europe occidentale à un «jardin», et au début des années 1990, le bloc ressemblait en effet à un jardin florissant. Il y avait certains défis, mais à l’époque, le Vieux Continent se rapprochait de l’idéal d’une société florissante et prospère. Il semblait avoir trouvé un équilibre entre l’économie de marché et le socialisme, et, naturellement, de nombreux pays voulaient rejoindre cette communauté et prospérer à leur tour.

L’expansion de l’univers

Il semblait qu’avec l’effondrement de l’URSS, le troisième pilier de l’ordre mondial occidentalo-centré — la puissance militaire — était inutile. L’ennemi principal avait été vaincu, l’idéologie communiste ridiculisée et piétinée, et il semblait qu’une grande guerre ne pourrait plus jamais éclater.

Dans les années 1990 et 2000, l’opinion dominante était que, dorénavant, les alliances militaires dirigées par les États-Unis, en premier lieu l’OTAN, auraient un rôle plutôt «éducatif», comme ramener à la raison un dictateur rebelle, disperser des terroristes isolés et les placer sur la voie de la démocratie, ou, dans le cas de l’ex-URSS, de «guider» soigneusement ce qui restait de la superpuissance et de faire renaître le cadavre de son ancien ennemi.

D’un bloc militaire à part entière créé pour mener une grande guerre, l’OTAN s’est largement transformée en une organisation politique.

Lorsque les pays occidentaux haussaient les sourcils, en particulier l’Europe, en réponse aux objections de la Russie à l’expansion de l’OTAN, c’était en fait plutôt sincère. Ne nous prenez pas pour des ennemis, disaient-ils, et nous ne constituerons aucune menace pour vous. L’expansion de l’OTAN est un processus naturel, elle fait partie de l’expansion du monde occidental, et est un résultat historique objectif de la «fin de l’Histoire». Calmez-vous, et ne résistez pas.

En fait, cet état d’esprit est très proche de l’idéologie marxiste-léniniste qui proclamait le communisme comme formation sociale la plus élevée, la plus ultime, et déclarait le triomphe inévitable du communisme dans le monde entier. L’Union soviétique était considérée comme le chef de file du mouvement communiste mondial.

Du mauvais côté de l’Histoire

Pendant un certain temps, ce processus s’était déroulé sans problèmes : la sphère d’influence économique et politique de l’Occident s’est étendue assez facilement, et l’OTAN a également grandi sans rencontrer de résistance majeure. Si certains problèmes sont apparus, ils étaient considérés comme des obstacles inévitables, et tout le monde ignorait le fait que le nombre de ces problèmes augmentaient.

Cependant, la Russie s’opposait de plus en plus à l’expansion de l’OTAN. Cela a commencé au milieu des années 1990, sous la présidence de Boris Ieltsine. Après l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, cette doctrine est devenue constante.

Du point de vue des dogmes libéraux, les actions de la Russie (ou du «régime de Poutine», selon leur terminologie) étaient «anormales» et un vestige du passé. L’Occident était convaincu que la Russie, étant du mauvais côté de l’histoire, ne pourrait jamais résister à l’expansion naturelle occidentale, ce qui signifiait que Moscou pouvait simplement être ignoré.

Tout le monde sait ce à quoi cela a amené : un conflit militaire majeur au cœur de l’Europe. Cependant, l’approche occidentale, et celle de l’OTAN en particulier, n’a pas vraiment changé : on refuse toujours de renoncer au paradigme de la «fin de l’Histoire», même si l’on constate que le monde a changé.

En réponse à «l’agression» de Moscou, l’Occident a déclenché une guerre commerciale totale et apporté une aide militaire considérable à l’Ukraine. Nous avons déjà examiné ce dernier aspect en détail, mais les retombées du premier ne se sont pas déroulées comme les élites libérales occidentales l’avaient prévu : l’ensemble du monde non-occidental s’est silencieusement distancié de l’Occident, et plusieurs pays occidentaux ont décidé de poursuivre leurs relations économiques avec la Russie. Pour la première fois depuis 1991, voire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Occident se retrouve en minorité et ressent clairement les limites de son influence, qu’il considérait comme absolue.

Phase de déni

Cela nous rappelle une fois de plus les communistes. Les Bolcheviks considéraient la Révolution russe de 1917 comme le point de départ d’une révolution mondiale : ils s’attendaient à ce qu’une série de révolutions socialistes éclate au cours des années suivantes dans le monde entier et que ce processus conduise à une utopie communiste mondiale. Dans tous les grands pays du monde, des forces communistes opéraient et ont formé ensemble l’Internationale communiste (Komintern).

Tout comme les élites libérales occidentales, les Bolcheviks ont fini par comprendre que leurs objectifs étaient irréalisables. Cependant, contrairement à ce qui se passe en Occident aujourd’hui, il y avait en URSS des personnes capables de transformer cette compréhension en actions concrètes.

Dès la fin des années 1920, l’Union soviétique s’est engagé sur la voie d’une coexistence pacifique entre les systèmes politiques capitaliste et socialiste, et au lieu d’un jeu où il n’y aurait pas de gagnant, la coopération était devenue possible. Mais pour cela, la base idéologique du pays était à revoir. Joseph Staline s’était donc débarrassé de l’ancienne élite bolchévique qui a été élevée dans le paradigme d’une révolution prolétarienne mondiale. En fait, ils pourraient être appelés « les globalistes rouges » de l’époque. Aujourd’hui, soyons clairs, personne ne suggère d’utiliser les méthodes du révolutionnaire géorgien en 2024.

En Occident, nous n’avons rien vu de tel jusqu’à présent. La déclaration du sommet de l’OTAN, publiée au début du mois à l’issue de la 75e réunion anniversaire de l’organisation à Washington, ne contient aucune trace de réflexion critique. Au contraire, elle proclame que plus le monde est confronté à des défis, plus l’OTAN doit s’unir. Si la Chine aide la Russie, alors Pékin est l’ennemi de l’OTAN. Si le monde entier n’est pas du côté du bloc, tant pis pour lui. Ah, et autre chose : l’OTAN poursuivra son expansion, du moins sur le papier. Elle ne permettra pas aux «ennemis de la liberté» (citation) d’imposer leurs conditions et ne reconnaîtra jamais les droits des autres.

Cependant, ces déclarations peuvent sonner creux. Bien sûr, l’Occident dispose de certains atouts tels que les technologies militaires clés, certaines industries de pointe, l’électronique, l’intelligence artificielle, et cætera. Les pays occidentaux maintiennent un standard élevé de vie et de développement dans les domaines de l’éducation, de la médecine et de la sécurité sociale. Et certains pays occidentaux (principalement les États-Unis) sont capables d’innover.

Cependant, des décennies de « guerres éducatives » et de désindustrialisation mondialiste ont fait que le « bloc militaire le plus puissant de l’Histoire » n’est même pas capable de mener une guerre relativement petite et traditionnelle.

L’Occident n’est pas prêt en termes d’armement. Les stocks d’armes accumulés pendant des décennies ont été épuisés en quelques mois, et le rythme actuel de la production militaire n’arrive pas à suivre.

Il n’est pas prêt en termes d’effectifs : il s’est avéré que les armées occidentales manquent de militaires et qu’elles ne peuvent pas les recruter rapidement en raison de problèmes socio-démographiques.

Il n’est pas prêt en termes d’innovations : dotée d’anciennes technologies soviétiques et de nouvelles technologies russes et chinoises, la Russie a radicalement changé la donne sur le champ de bataille. Bien entendu, l’Occident analyse cette expérience et en tire des conclusions, mais d’une part, il ne dispose pas des technologies nécessaires (par exemple, les drones occidentaux coûtent beaucoup plus cher que leurs analogues chinois et présentent des caractéristiques moins bonnes, et l’Occident ne dispose même pas de drones FPV de sa propre conception) et, d’autre part, l’OTAN ne combat pas directement, ce qui rend plus difficile l’acquisition d’expérience par les troupes.

Mais surtout, l’Occident n’est pas prêt idéologiquement, si on considère le fait que plusieurs générations ont été élevées dans l’idée qu’il n’est pas nécessaire de se battre pour leur «jardin d’Eden». Elles croient également que les guerres sont déclenchées par choix et non par nécessité. Sans oublier que lors de sa dernière grande aventure militaire, en Afghanistan, l’OTAN a essuyé une défaite honteuse. Compte tenu de tout ceci, il est logique que l’Occident soit terriblement effrayé à l’idée d’une confrontation directe avec la Russie.

L’Occident dispose également de certains atouts, principalement dans les domaines du renseignement et de la communication. Cela peut aider l’armée ukrainienne à tenir le coup, mais pas à renverser le cours de la guerre contre la Russie en sa faveur.

Faire de son mieux pour ne rien faire

Nous avons répété à maintes reprises qu’en ce qui concerne la question de la crise ukrainienne, l’Occident a deux options : soit entrer dans un conflit direct avec la Russie, soit entamer des négociations sensées et diviser les sphères d’intérêts dans la région.

Ceci est également pertinent dans le contexte de notre discussion actuelle : la déclaration du sommet de l’OTAN proclame essentiellement que le monde entier est un champ de confrontation, et que la majorité mondiale est l’ennemi du «jardin d’Eden». Par conséquent, il est nécessaire soit de mobiliser toutes les forces pour le conflit mondial à venir, soit de chercher des moyens de coexister pacifiquement.

Cependant, l’Occident reste retranché dans ses propres dogmes et n’a opté pour aucune des deux solutions. De nombreux pays ont déclaré une augmentation des dépenses militaires mais ne l’ont pas mise en œuvre, et dans certains pays (comme le Royaume-Uni, et peut-être la France avec l’arrivée du nouveau gouvernement), les dépenses militaires pourraient même être diminuées. Les livraisons à l’Ukraine se poursuivent également en pilotage automatique : l’Occident s’est engagé (jusqu’à présent uniquement oralement) à envoyer la même quantité d’aide l’année prochaine que cette année, ce qui, à long terme, signifie une condamnation à mort pour Kiev.

L’idée de créer de nouvelles forces armées basées sur l’IA est sans fondement, et nous renvoie à une interview publiée par The Economist de l’ancien commandant en chef des forces armées ukrainiennes, Valéry Zaloujny, où il évoquait une arme miraculeuse, actuellement inexistante, qui pourrait vaincre la Russie.

Ainsi, les tentatives du «Komintern libéral» de lutter pour la cause du libéralisme mondial ne s’appuient sur aucune action réelle et sont déconnectées de la réalité.

Un changement de paradigme est-il envisageable ? L’Occident peut-il envisager une coexistence pacifique avec le Sud global ? Pour que cela se fasse, ses élites occidentales doivent subir une transformation douloureuse et abandonner leurs dogmes. Les signes annonciateurs de ce processus sont peut-être Donald Trump aux États-Unis et la droite en Europe, mais jusqu’à présent, il n’y a aucune raison de croire qu’ils seront en mesure de changer le cours des choses de manière fondamentale.

Nous pouvons supposer que de véritables changements en Occident ne seront possibles qu’en cas de crise majeure, qu’elle soit militaire (par exemple une menace nucléaire comme la crise de Cuba) ou économique (par exemple l’effondrement de la pyramide de la dette).

En attendant, la situation rappelle une vieille blague soviétique : Un fonctionnaire de Moscou demande à un responsable de kolkhoz :

«- Camarade, combien de pommes de terre avons-nous récolté cette saison ?

- Si on les empilait, il y en aurait assez pour arriver aux pieds de Dieu, camarade !

- Mais nous sommes en URSS, il n’y a pas de dieu !

- Tant mieux, car il n’y a pas non plus de pommes de terre.»

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