Alors que les frappes ukrainiennes sur des villes russes s'accentuent, Karine Bechet-Golovko dénonce la complicité de Washington, qui a livré des armes à Kiev, aujourd'hui utilisées contre des civils, en dépit des déclarations passées de l'administration Biden.
La notion de terrorisme d’État est particulièrement complexe et controversée en droit international, puisqu’elle fait passer l’État de la qualité de cible et de victime à celle de sujet et de responsable, ce qui n’empêche pas les structures de l’ONU d’y recourir largement. Mais à l’encontre de certains pays seulement, d’autres, comme les États-Unis et leurs satellites, semblant bénéficier en la matière d’une pratique très proche de celle des indulgences de l’Église catholique.
La question de l’incrimination des États-Unis pour terrorisme d’État se pose avec force ces derniers jours, suite à deux tragédies, résultant d’actes de l’armée atlantico-ukrainienne, réalisée grâce à l’utilisation d’armes américaines et utilisées sciemment contre des cibles non militaires.
Ainsi, le 24 janvier, alors qu’un échange de prisonniers était prévu entre l’Ukraine et la Russie et que les prisonniers étaient transportés, comme à l’habitude, par avion vers Belgorod, un tir de deux missiles a été effectué depuis la région de Kharkov, sous contrôle de l’OTAN. Un des deux avions a réussi à faire demi-tour, quand l’autre s’est écrasé avec 65 prisonniers ukrainiens à bord, six membres d’équipage et trois personnes accompagnant les prisonniers.
Les systèmes Patriot montrés du doigt
Après un début d’enquête, tout le monde tombe d’accord sur le fait de l’utilisation du système américain Patriot. Des militaires français le déclarent à l’agence AP, pendant que les médias français restent, eux, particulièrement discrets sur la chose : «Un responsable militaire français a déclaré à l'Associated Press que l'armée du pays avait conclu que les forces ukrainiennes avaient utilisé une batterie de missiles sol-air Patriot pour abattre l'Il-76, tirant à environ 50 kilomètres (environ 30 miles) de distance.»
Les enquêteurs russes sont arrivés à la même conclusion : «Selon les conclusions des examens effectués au cours de l'enquête sur les fragments saisis sur les lieux de l'incident, au regard de leurs caractéristiques de conception, de leurs caractéristiques géométriques et des marquages disponibles, ce sont des éléments structurels du missile guidé anti-aérien MIM-104A du complexe US Patriot, développé par les sociétés Raytheon et Hughes et produit par Raytheon.»
Le second événement de la série est le tir effectué par l’armée atlantico-ukrainienne sur une boulangerie de la ville de Lissitchansk dans la République populaire de Lougansk à l’heure d’affluence. Jusqu’à 40 personnes peuvent se trouver sous les décombres. À ce jour, l’on compte 28 morts, tous des civils, dont un enfant et neuf femmes. À cela s’ajoutent dix blessés, dont quatre dans un état extrêmement grave. Les recherches parmi les décombres continuent toujours.
Et ici aussi, des armes américaines ont été utilisées. En l’occurrence, selon les enquêteurs du Comité d’enquête de la Fédération de Russie, il s’agit de missiles Himars.
Dans les deux cas, nous sommes confrontés à la mort de civils ou de personnes protégées, comme les prisonniers de guerre. Dans les deux cas, l’armée atlantico-ukrainienne savait qu’il n’y avait pas de cibles militaires. Dans les deux cas, le tir a été volontaire.
Selon l’article Premier point 2 de la Convention de Genève pour la prévention et la répression du terrorisme de 1937, le terrorisme est entendu «des faits criminels dirigés contre un État et dont le but ou la nature est de provoquer la terreur chez des personnalités déterminées, des groupes de personnes ou le public».
Qui a pris la décision de tirer ?
Au regard de cette définition, revenons sur ces deux tragédies. Ces systèmes militaires complexes sont livrés par les États-Unis en Ukraine, avec «spécialistes» et «formateurs». Les médias américains reconnaissent que l’armée, qui se bat en Ukraine, est nourrie par le renseignement des pays de l’OTAN.
Qui a pris la décision de tirer ? Qui a tiré ?
Sans contester l’exclusivité du «highly likely» aux Atlantistes, il y a en réalité de fortes chances pour que la décision n’ait pas été prise par l’Ukraine. Tout d’abord pour des raisons institutionnelles. L’Ukraine n’est plus un État, dans le sens juridique du terme, depuis 2014 : ses institutions ne fonctionnent plus régulièrement depuis ; elle ne détermine plus souverainement sa législation, qui est dictée de l’extérieur en fonction des prêts à obtenir ; et elle ne contrôle plus juridiquement son territoire, puisque la législation nationale n’y est pas en gros et en général efficace, pour reprendre l’expression de Hans Kelsen. Politiquement, l’Ukraine est également devenue inexistante : une armée de conseillers et de tuteurs se relaie sur place pour gérer politiquement cet espace et ces hommes, en fonction de l’intérêt atlantiste. Il n’y a qu’à voir la visite surprise de Nuland pour régler la question Zaloujny, les plans préparés par l’ancien secrétaire général de l’OTAN Rasmussen en charge du front ukrainien, etc. Enfin, l’armée ukrainienne a disparu. Elle est totalement prise en charge par les pays de l’OTAN, qu’il s’agisse du financement, de la formation ou de l’armement. L’Ukraine fournit – encore – la masse humaine, la chair à canon, mais son rôle s’arrête à cela sur le plan militaire.
Il n’existe donc plus, objectivement, de structure étatique et véritablement ukrainienne apte à prendre ce genre de décision. De plus, les armes étant américaines, nous pouvons à juste titre supposer qu’ils décident de leur emploi, les petites mains sur place exécutant les ordres.
L’intérêt de maintenir la fiction ukrainienne est celle justement de la responsabilité. Les autorités politiques américaines peuvent ainsi chanter sur toutes les ondes que les Ukrainiens décident eux-mêmes des cibles. Ainsi, ils font reporter sur leurs vassaux la responsabilité de leurs décisions. Ce qui est somme toute un mécanisme politique classique.
Et, ainsi, l’on peut saisir toute la signification de ces deux tirs, sur l’avion au-dessus de Belgorod et sur la boulangerie à Lissitchansk.
Le premier, contre les prisonniers ukrainiens, est un message de terreur envoyé à des personnes très précises et à des groupes très précis – en Ukraine. Aux dirigeants-marionnettes, qui doivent comprendre quelle est la détermination de l’OTAN dans sa guerre contre la Russie, et aux militaires ukrainiens, qui doivent avoir plus peur de se constituer prisonnier, que de mourir au combat pour la grandeur et la gloire de l’ordre atlantiste global.
Le second tir est adressé aux populations russophones de l’ancien Est de l’Ukraine, qui ont osé faire le choix du retour en Russie, après la chute de l’État ukrainien en 2014 : il n’y a qu’un choix acceptable, celui de la soumission à l’ordre atlantiste global – sinon, c’est la mort, car nous considérons alors toute personne comme une cible légitime, comme un terroriste à notre ordre.
Il est du devoir de tout État de s’abstenir lui-même de tout fait destiné à favoriser les activités terroristes
Rappelons que selon la Convention de Genève de 1937, au minimum, je cite, «il est du devoir de tout État de s’abstenir lui-même de tout fait destiné à favoriser les activités terroristes». Or, fournir des armes, qui sont régulièrement utilisées contre des cibles civiles, comme la pratique le montre et donc comme il est impossible de l’ignorer, constitue a minima une incitation, de la part nomment des États-Unis, mais aussi de tout pays de l’OTAN livrant des armes létales, à développer une activité terroriste, et en Ukraine, et contre la Russie.
Les États-Unis sont ainsi devenus un État terroriste, c’est-à-dire un État qui n’est pas la cible d’une action terroriste, mais un État qui utilise de manière systématique des méthodes terroristes. L’on peut encore longtemps parler de la responsabilité de «l’armée ukrainienne», en tout cas tant qu’il reste des hommes, c’est confortable. Pourtant, si l’on pousse la logique, et juridique de la disparition de l’Ukraine, et politique de la gestion atlantico-américaine de l’espace ukrainien, l’on est obligé de se poser et de poser dans les instances correspondantes, puisque l’on vénère les organes internationaux de gouvernance globale, la question Ô combien sensible de la qualification juridique de la politique menée par les États-Unis sur le front ukrainien. Et comme le déclarait déjà en 2005 le secrétaire général de l’ONU, puisque les autorités françaises parlent sans rougir d’un droit de défense des Ukrainiens : «Il est temps que nous cessions de nous interroger sur ce qu’on entend par "terrorisme d’État". Le recours à la force par les États est déjà réglementé de façon très précise par le droit international. Le droit de résister à l’occupation doit être entendu dans son sens véritable. Il ne peut s’étendre au droit de tuer ou de blesser intentionnellement des civils.»
Que dirait aujourd’hui le secrétaire général de l’ONU ? Oserait-il soulever la question de la qualification des États-Unis d’États, non pas soutenant le terrorisme, mais eux-mêmes devenus terroristes ? C’est pourtant uniquement en mettant un nom sur un phénomène, en l’identifiant clairement, qu’il est possible de lutter contre lui.