Moscou, Wagner et le Mali : la diplomatie russe met les points sur les «i»
En marge de l'Assemblée générale de l'ONU ce 25 septembre, le chef de la diplomatie russe a appelé à distinguer la coopération interétatique entre Moscou et Bamako des affaires liant le Mali à des sociétés privées russes.
La perspective d'une coopération entre la société privée russe Wagner et les autorités maliennes a fait vivement réagir ces derniers jours la France et plusieurs autres pays européens, visiblement paniqués à l'idée de partager leurs efforts militaires antiterroristes au Sahel avec d'autres forces étrangères.
Tandis que ces chancelleries mettent volontiers dans le même sac le gouvernement russe et Wagner, le ministre russe des Affaires étrangères a souhaité mettre les points sur les «i», à l'occasion d'une conférence de presse en marge de l'Assemblée générale des Nations, ce 25 septembre à New York. Alors qu'il était interrogé sur les inquiétudes européennes à ce sujet par le journaliste de RT Caleb Maupin, Sergueï Lavrov a d'abord rappelé dans quel contexte celles-ci s'inscrivaient : «Les autorités de transition maliennes soulignent clairement leur attachement aux obligations internationales et, par ailleurs, luttent contre le terrorisme. Elles se sont tournées vers une société militaire russe privée étant donné que, si je comprends bien, la France veut réduire considérablement son contingent militaire qui y était déployé et qui était censé [...] combattre les terroristes [au Mali]».
Ainsi, constatant ce déclin du soutien militaire français et estimant leurs propres forces trop limitées, les autorités maliennes se sont tournées vers une société de sécurité privée russe, a constaté le chef de la diplomatie russe. «Nous n'avons rien à voir avec ça», a tenu à souligner Sergueï Lavrov, avant de préciser son propos : «Cette activité est exercée de manière légale et concerne les relations entre la partie qui [embauche des spécialistes] – il s'agit d'un gouvernement légitime, reconnu par tous comme une structure transitoire légitime – d'une part, et ceux qui offrent les services de spécialistes à l'étranger».
Ces relations entre Bamako et un acteur privé se distinguent, donc, de celles qu'entretiennent les autorités de la Russie et du Mali, que Sergueï Lavrov a explicitées lors de la même conférence de presse : «Nous [les autorités russes] apportons notre contribution – par le biais d’approches étatiques et non d’entreprises privées – en ce qui concerne la capacité défensive du Mali, sa préparation au combat pour éradiquer les menaces terroristes et autres. Nous livrons de la production militaro-technique en tant qu’aide de notre part au Mali. Et dans le cadre du Conseil de sécurité, bien entendu, nous participons à l'élaboration d'approches optimales pour la poursuite des efforts de maintien de la paix.»
Ces efforts sécuritaires interétatiques s'inscrivent dans une coopération russo-malienne plus vaste, que le chef de la diplomatie russe et son homologue malien, Abdoulaye Diop, avaient déjà louée le 24 septembre, lors d'une rencontre entre les deux hommes à New York.
La perspective d'un partenariat entre Bamako et Wagner effraye des chancelleries européennes
Le 24 septembre, les responsables de la Défense de 13 pays de l'Union européenne, dont la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, avaient affirmé qu'une éventuelle implication du groupe de sécurité privée Wagner au Mali serait inacceptable. Le ministre suédois de la Défense Peter Hultqvist, hôte d'une réunion entre ces Etats sur «l'Initiative européenne d'intervention», avait martelé : «Nous voulons envoyer un message clair : nous ne sommes pas prêts à accepter l'entrée du groupe Wagner sur le théâtre malien.»
Le même jour, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian avait interpellé Sergueï Lavrov sur le même sujet : «Sur le Mali, le ministre a alerté son homologue russe sur les conséquences graves d'une implication du groupe Wagner dans ce pays», avait ainsi indiqué le ministère français des Affaires étrangères, au lendemain d'un entretien à New York entre les deux responsables.
Lors de sa conférence de presse du 25 septembre, Sergueï Lavrov a condamné la tendance européenne à s'inquiéter de l'arrivée de nouveaux acteurs étrangers sur le terrain sécuritaire malien : «Dire : "J'étais ici le premier et vous devez quitter les lieux", d'abord c'est humiliant pour le gouvernement de Bamako qui a invité des partenaires étrangers, et deuxièmement, ce n'est pas comme ça que l'on doit parler», a dénoncé le chef de la diplomatie russe, ajoutant que l'Union européenne et Moscou feraient mieux de coordonner leurs efforts en matière de lutte antiterroriste, au Mali et dans toute la région sahélienne.
Confusion occidentale entre Wagner et Moscou
La réaction paniquée de la France et d'autres pays européens face à la coopération potentielle entre Wagner et le Mali doit être analysée à la lumière d'un élément : la confusion, dans le discours des chancelleries occidentales, entre cette société privée russe et le gouvernement russe. L'AFP rappelle ainsi que Wagner «est accusé, notamment par la France, d'agir pour le compte du Kremlin là où il ne veut pas apparaître de manière trop officielle».
Cette confusion exaspère Moscou, qui a toujours démenti tout lien avec la fameuse société de sécurité privée.
Ce trait d'égalité entre une société privée et Moscou, qui imprègne le discours des Occidentaux, est d'autant plus significatif qu'il semble exclusif à la Russie. Paris ne paraît pas s'inquiéter, par exemple, de l'implication aux quatre coins du monde la société américaine BlackWater, qui fait pourtant partie des entreprises de sécurité privée dont les actions suscitent régulièrement la controverse. En décembre dernier, par exemple, BlackWater avait défrayé la chronique après que le président américain Donald Trump eut gracié quatre de ses employés, qui avaient été condamnés à une peine de prison pour avoir massacré 14 civils dont deux enfants à Bagdad (Irak) en 2007.