L'Europe de la défense, symbole parmi d'autres de la rupture du couple franco-allemand ?

L'Europe de la défense, symbole parmi d'autres de la rupture du couple franco-allemand ?© POOL Source: Reuters
Sommet européen à Bruxelles en octobre 2020.
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Jean-Yves Le Drian a défendu une Europe affirmant sa souveraineté dans le domaine de la défense. Une position opposée à celle de l'Allemagne pour qui le continent reste dépendant de la protection militaire américaine.

S'exprimant au micro d'Europe 1 au sujet des élections américaines, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a prévenu qu'on ne reviendrait pas «à une espèce de bon vieux temps de la relation transatlantique» et a constaté une affirmation de la souveraineté européenne, y compris en matière de défense. Une position diamétralement opposée à celle de la ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, pour qui «les illusions d’une autonomie stratégique européenne doivent cesser», l'Union européenne étant selon elle dépendante de la protection militaire américaine. Deux visions stratégiques radicalement opposées qui mettent en évidence une rupture toujours plus importante au sein du «couple franco-allemand».

La fin du «bon vieux temps de la relation transatlantique»

Dans cet entretien du 5 novembre 2020, Jean-Yves Le Drian revient d'abord sur l'élection présidentielle américaine, à l’issue toujours incertaine. Le chef de la diplomatie française affirme que la France devra travailler «avec la personnalité élue et avec le nouveau gouvernement américain, quoi qu’il arrive».

Le ministre rappelle néanmoins que «[l'UE] a eu depuis quatre ans des divergences majeures» avec les Etats-Unis, et qu’«il […] faudra reconstruire désormais une nouvelle relation transatlantique qui soit un nouveau partenariat».

Ce partenariat ne pourra être un simple retour en arrière, estime le ministre : «On ne reviendra pas au statu quo ante, à une espèce de bon vieux temps de la relation transatlantique», a-t-il prévenu, car «le monde a bougé depuis quatre ans».

«Ce qui a bougé, c’est le fait que l’Europe a affirmé sa souveraineté depuis quatre ans. Dans le domaine sécuritaire, dans le domaine de la défense, dans le domaine de son autonomie stratégique […] l’Europe s’est dotée d’un fonds européen de défense, d’une relation de défense beaucoup plus forte […] Depuis quatre ans, l’Europe est sortie de sa naïveté et commence à s’affirmer comme puissance.»

Une position forte de la part de l’ancien ministre de la Défense, qui s'inscrit dans la continuité des propos du président de la République. Celui-ci avait affirmé dans un entretien au magazine The Economist, publié le 7 novembre 2019, que l’OTAN était en état de «mort cérébrale». Le chef de l'Etat validait ce constat par le relatif désengagement américain de l'alliance atlantique et la situation de la Turquie, membre de l'OTAN, en Syrie. 

Pour la France, il semble donc désormais clair que l’Europe doit – en matière de défense tout au moins – apprendre à voler de ses propres ailes.

Pour Berlin, les Européens ne sont «pas capables de remplacer l’Amérique dans son rôle crucial de pourvoyeur de sécurité»

Des déclarations qui s'opposent à ceux tenus trois jours plus tôt sur le site très atlantiste Politico par la ministre allemande de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer. Tout en rappelant que «le sentiment anti-américain, qui a toujours existé [dans son] pays, est en hausse et est devenu une force notable», elle affirme que les Etats-Unis «plus que tout autre [demeurent] le pays de l’espoir et des horizons, de la liberté et de convictions partagées».

Si la ministre se félicite des efforts du continent en matière de dépenses militaires, elle brise tous les espoirs restants d’une défense européenne indépendante en affirmant que «les illusions d’une autonomie stratégique européenne doivent cesser [car les] Européens ne seront pas capables de remplacer l’Amérique dans son rôle crucial de pourvoyeur de sécurité». Selon elle, l’Europe «reste dépendante de la protection militaire américaine, qu’elle soit nucléaire ou conventionnelle».

Loin de la prise de distance française, il s’agit pour Annegret Kramp-Karrenbauer d’ancrer encore plus solidement l’Europe et l’Allemagne dans l’OTAN. Elle estime ainsi que l’Europe doit démontrer aux Etats-Unis qu’elle n’est pas juste une bénéficiaire, mais aussi une contributrice, et que son pays «doit prendre d'urgence la décision de rester dans le cadre du programme de partage nucléaire de l’OTAN».

La position d’Annegret Kramp-Karrenbauer s'inscrit dans celle de Angela Merkel, qui avait déclaré le 27 novembre 2019 que l'OTAN garantissait «la liberté et la paix» depuis 70 ans, en grande partie grâce «à nos amis américains», à la suite des propos critiques d'Emmanuel Macron. Elle avait elle aussi argué que l’Europe ne «peut pas se défendre seule pour le moment» et que «nous dépendons de l'Alliance transatlantique».

La veille de cette déclaration de la chancelière, son ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, avait répondu indirectement au président français en affirmant qu’«on peut dire, à juste titre, que l’OTAN est en vie».

A la même période, le New York Times avait publié un article rapportant les propos adressés par la chancelière allemande à Emmanuel Macron, mais démentis depuis par celle-ci : «Je comprends votre désir d'une politique de rupture […] mais j'en ai assez de ramasser les morceaux. Encore et encore, je dois recoller les bouts de tasse que vous avez cassés pour qu'on puisse ensuite s'asseoir et prendre une tasse de thé ensemble.»

Une politique de rupture avec l’OTAN considérée comme destructrice par l’Allemagne, mais comme une opportunité de reconstruction par la France : deux positions difficilement conciliables au cœur de l’Union européenne.

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