Qu'est-ce que «QAnon», le mouvement qui prend de l'ampleur parmi les supporters de Donald Trump ?
Les conversations autour de Q, un individu se présentant sur internet comme un proche du président américain faisant fuiter des informations sensibles, ont débouché sur un mouvement se plaçant en opposition frontale avec les médias traditionnels.
Le 31 juillet, lors du meeting politique de Donald Trump à Tampa en Floride – comme lors de précédents rassemblements –, de nombreux soutiens du président américain arboraient un t-shirt et des pancartes portant la seule lettre «Q», donnant des visages à un mouvement qui ne cesse de prendre de l'ampleur depuis plusieurs mois sur internet.
Just one of the multiple signs at the @realDonaldTrump rally in #TrumpTampa and @FoxNews was showing all the #QAnon signs. #WWG1WGApic.twitter.com/KLsFF2qhj1
— Arlo Return 🇺🇸 (@arloreturn) 1 août 2018
People lining up for the Trump rally in Tampa today. A lot of the chan anons might treat Q-Anon like a LARP, but by all appearances there are plenty of people who take it seriously irl. pic.twitter.com/uys7kmnAs1
— Travis View (@travis_view) 31 juillet 2018
Il trouve son origine en octobre dernier, lorsqu'un utilisateur du forum 4chan se présente comme un haut responsable gouvernemental, proche de l'équipe de Donald Trump et disposant d'une habilitation de sécurité «Q», l'une des plus élevées aux Etats-Unis.
Dans une série de messages sibyllins, souvent en forme de questions, cet internaute entreprend d'apporter un éclairage radicalement différent de l'actualité politique et géopolitique présentée par les médias traditionnels, en donnant ce qu'il prétend être des informations sensibles.
La particularité du forum 4chan étant l'anonymat de ses utilisateurs, impossible dès lors de savoir qui se trouve derrière ces messages. S'agit-il d'un homme, d'une femme, d'une personne ou de plusieurs ? Le mystère est entier et les internautes qui ont suivi avec attention les premières «miettes» qu'il a semées, selon son propre terme, décident de le baptiser simplement «Q». Un nom qu'il endosse rapidement, et qui par la même occasion, fait des internautes qui le suivent des «QAnon», en référence à leur anonymat.
La thèse défendue par «Q»
La thèse principale de «Q» est que le président américain – et plus largement le monde – fait face un ennemi intérieur, l'Etat profond, contre lequel Donald Trump mène une lutte de tous les instants. «Q» interprète l'actualité à cette aune, assurant que l'objectif ultime du locataire de la Maison Blanche serait de libérer son pays des griffes de cet ennemi.
D'après «Q», cet affrontement se résume à une lutte du bien contre le mal. Il dénonce la corruption totale de l'Etat profond qui n'hésiterait pas, selon lui, à recourir aux pires moyens pour arriver à ses fins. Dans la multitude de sujets qu'il aborde, «Q» soutient par exemple qu'il existerait un réseau international qui trafiquerait et abuserait d'enfants dans lequel serait impliquée la Fondation Clinton, notamment à travers ses activités à Haïti. Il assure, pêle-mêle, que l'Etat profond perpétuerait des attaques sous faux drapeau ou encore pratiquerait constamment une forme de chantage sur les personnalités publiques qui se verraient contraintes de le servir. Mais «Q» explique que le président américain, soutenu par un groupe au sein de l'appareil militaire américain dont les racines remonteraient jusqu'à John Kennedy, aurait désormais les cartes en main pour reprendre le contrôle.
Selon «Q», la candidate démocrate à l'élection présidentielle Hillary Clinton, le sénateur républicain John McCain ou encore le milliardaire George Soros seraient quelques-uns des visages de cet Etat profond qui comprendrait diverses organisations, en premier lieu desquelles la plupart des agences de renseignement américaines. «Q» soutient que les médias agiraient dans leur immense majorité sous l'influence de celles-ci, expliquant que l'opération Mockingbird (une opération de la CIA destinée à infiltrer les médias), serait on ne peut plus active aujourd'hui.
Les partisans de «Q» à la recherche de la vérité
La renommée grandissante de «Q» découle de plusieurs facteurs, dont une multiplication de signes, plus ou moins tirés par les cheveux, censés confirmer la réalité de ses liens avec Donald Trump.Surtout, ses partisans louent sa capacité présumée à anticiper des événements, la précision des informations qu'il fournirait et sa manière de les coordonner.
Les nombreux anonymes du forum (désormais 8chan), dont beaucoup se présentent comme des patriotes américains, vétérans de l'armée, se sont lancés dans un travail de recherche considérable à partir des pistes données par «Q». «Les vrais "Anons" sont ici et suivent les preuves (documentées et vérifiables). [...] Nous cherchons simplement la vérité et présentons ensuite ce que nous trouvons afin que cela puisse être examiné et corroboré par nos pairs», expliquent-ils dans un message.
L'opposition aux médias traditionnels
Si «Q» fait une percée remarquée parmi les soutiens de Donald Trump, il est encore discret dans la sphère publique, bien qu'il ait récemment été cité dans la liste des «25 personnes les plus influentes d'internet» par le Time. Seule l'actrice Roseanne Barr y a fait de nombreuses allusions sur son compte Twitter. Mais, preuve que le phénomène devient massif, une application baptisée «Qdrop», regroupant les messages de «Q», a été mise en service sur l'App Store ainsi que sur Google play. En avril dernier, elle est devenue l'application payante la plus populaire de la section «divertissement» de la boutique en ligne d'Apple, et la dixième application payante la plus populaire toute catégorie confondue.
Un succès qui se fait, par la nature même des éléments partagés, au détriment des médias traditionnels. Ces derniers, qui ont récemment commencé à se pencher sur le mouvement, le qualifient de théorie complotiste. Après avoir reçu une plainte de la chaîne NBC qui l'accusait de propager ces théories, Apple a d'ailleurs retiré l'application «Qdrop» de sa boutique.
Si aucun média n'a pour l'heure osé interroger Donald Trump au sujet de «QAnon» – une requête émise à de nombreuses reprises par «Q» lui-même, comme un défi à leur attention –, la défiance affichée par le président américain à l'égard des médias mainstream offre une caisse de résonance au phénomène. Une des chaînes érigée en repoussoir par le président américain et ses supporters, CNN, en a ainsi fait l'expérience à Tampa le 31 juillet. Un de ses présentateurs vedette, Jim Acosta, très critique envers l'actuel locataire de la Maison Blanche, a effectué son duplex sous les hués, les doigts d'honneur et les cris de «CNN sucks» (CNN, ça craint). Avec, dans la foule, de nombreuses références à «Q» et à «QAnon».
Just a sample of the sad scene we faced at the Trump rally in Tampa. I’m very worried that the hostility whipped up by Trump and some in conservative media will result in somebody getting hurt. We should not treat our fellow Americans this way. The press is not the enemy. pic.twitter.com/IhSRw5Ui3R
— Jim Acosta (@Acosta) 1 août 2018
Frédéric Aigouy