La Russie envoie en France une pièce maitresse du futur réacteur nucléaire expérimental
La barge russe qui transporte l’une des six bobines du réacteur thermonucléaire expérimental a quitté Saint-Pétersbourg pour Marseille. Pour l'heure, l’atome est encore un domaine préservé de la coopération russo-occidentale.
«Rien ne peut arrêter ni l’esprit humain ni la réflexion de l’ingénierie», a déclaré ce 1er novembre à Saint-Pétersbourg Guéorgui Poltavtchenko, PDG d’United Shipbuilding Corporation. Des mots prononcés lors d’une cérémonie solennelle, où la barge devant transporter de l’équipement russe de haute technologie vers le site de la construction du réacteur ITER en France a été mise à l’eau. En l’occurrence, la bobine de champ poloïdal (PF) numéro 1, qui doit ainsi rejoindre le port de Marseille sous quinzaine.
Pesant 200 tonnes et mesurant 9 mètres de diamètre, la «PF1» construite par les Russes est l’une des six «bobines de champ poloïdal» qui ceintureront la chambre à vide du futur réacteur thermonucléaire expérimental international. Le rôle de ces énormes aimants annulaires sera de générer une superposition de champs magnétiques pour modeler et canaliser le plasma au sein de la chambre vide. Il s’agit en somme de créer une enceinte immatérielle insensible à la chaleur, autour du plasma, pour le garder à distance des parois de la chambre qui n'y résisteraient pas.
«Sans la bobine PF1, le tokamak ne peut pas fonctionner», a résumé auprès de l'AFP Léonid Khimtchenko, directeur adjoint pour les questions techniques au Centre-Iter en Russie, qui se félicite de cette réalisation «unique» après plus de huit ans de travail.
L’une des pièces maitresses d’un puzzle pharaonique
«La Russie continue de s’acquitter de toutes ses obligations dans le cadre du projet de construction du réacteur thermonucléaire expérimental international ITER, le plus grand projet scientifique et technique d’aujourd’hui», a déclaré Rosatom.
Les technologies et l’équipement les plus importants pour la fabrication de la bobine ont été développés par une entreprise de Rosatom – l'Institut Efrémov pour la recherche sur les équipements électrophysiques ; la fabrication est effectuée sur le territoire du chantier naval Sredne-Nevski (qui fait partie de l’entreprise publique russe United Shipbuilding Corporation), précise le document.
Signifiant «chemin» en Latin, ITER est un projet de coopération internationale lancé en 1985 par Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev pour la maitrise de la fusion de l'hydrogène (comme au cœur du soleil) une potentielle source d’énergie, abondante et décarbonée, pour l’humanité. En chantier sur le site de Cadarache, à Saint-Paul-lez-Durance (Bouches-du-Rhône), ce réacteur expérimental doit voir le jour en 2025 grâce aux efforts combinés de l'Union européenne, des États-Unis, de la Russie, de la Chine, de l'Inde, du Japon ainsi que de la Corée du Sud.
L’atome : dernier pilier de la coopération russo-européenne ?
«Tout le monde serait perdant» en cas de retrait ou d'exclusion de la Russie, a pour sa part déclaré Andreï Mednikov, en charge de la maîtrise d'œuvre de la bobine.
Pour l’heure épargnée par les sanctions occidentales, contrairement d'ailleurs au spatial, la coopération nucléaire entre la Russie et les pays occidentaux souffre néanmoins des répercussions du conflit en Ukraine.
Début mai, la Finlande annonçait ainsi mettre fin au projet entrepris avec la Russie pour la construction d’une centrale sur les bords de la Baltique en raison des «risques» supplémentaires induits par le conflit. Outre Atlantique, aux Etats-Unis, ce sont des entreprises privées travaillant à l’élaboration des futurs réacteurs américains de troisième génération qui ont décidé de boycotter le combustible nucléaire russe, et bien qu’il soit pour l’heure le seul compatible avec leurs projets.
Via sa filiale Tenex, Rosatom demeure l’un des principaux fournisseurs des Européens en Uranium. Le géant russe de l’atome poursuit également sa coopération avec la Hongrie, où la mise en chantier de deux réacteurs a été officialisée fin août. Rosatom reste également un partenaire de l’industrie nucléaire tricolore, tant à travers l’échange de combustible qu’en étant le principal client de GE Steam Power (Geast), l’ex-filiale d’Alstom fabriquant les turbines Arabelle, que le gouvernement français s’est attelé de racheter aux Américains.