Emmanuel Macron célèbre la liberté de la presse dans le monde... en oubliant ses limites en France
Le chef de l'Etat a écrit qu'il souhaitait que les journalistes «restent libres partout dans le monde». Mais ces derniers mois, la loi Sécurité globale et plusieurs exactions policières ont nourri la polémique sur la liberté de la presse en France.
Le président de la République Emmanuel Macron s'est fendu d'un message de soutien aux journalistes ce 3 mai, journée mondiale de la liberté de la presse. «Continuons à nous battre pour qu'ils restent libres partout dans le monde. Continuons à nous battre pour les protéger. Continuons à nous battre contre la désinformation qui menace nos démocraties. Pour la paix, la justice, les droits humains», a écrit le chef de l'Etat français sur les réseaux.
Les journalistes nous informent.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 3, 2021
Continuons à nous battre pour qu'ils restent libres partout dans le monde. Continuons à nous battre pour les protéger. Continuons à nous battre contre la désinformation qui menace nos démocraties. Pour la paix, la justice, les droits humains. https://t.co/I9NhhFB1YZ
Un discours qui contraste avec la situation des journalistes en France, positionnée au 34e rang du classement mondial 2021 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières (RSF). En particulier depuis l'adoption définitive le 15 avril par le Parlement de la loi Sécurité globale et de son fameux article 24, réécrit mais pénalisant toujours la diffusion «malveillante» de l'image des policiers, une modification juridique qui cristallise une large contestation chez les défenseurs des libertés publiques.
Dans la foulée de l'adoption du texte de loi, près de 90 députés de gauche, dont LFI et Socialistes et apparentés, du centre et écologistes ont annoncé déposer un recours devant le Conseil constitutionnel pour le contester. Ce groupe d'élus d'opposition a déclaré viser «tout particulièrement l’article 24 [...] qui, en créant une nouvelle incrimination de "provocation à l’identification", porte une atteinte évidente au principe de légalité des délits et des peines, au droit à la sûreté, et fait peser sur la liberté d’expression ainsi que sur la liberté de la presse une grave menace».
La France épinglée par le Conseil de l'Europe
En publiant son tweet, le président français semble également avoir oublié que le 29 avril dernier, le Conseil de l'Europe, dont la France est un pays fondateur, a alerté sur la situation de la liberté de la presse dans l'Hexagone, notamment sur le harcèlement dont les journalistes sont de plus en plus souvent victimes. Car selon le dernier rapport annuel de la Plateforme du Conseil de l'Europe pour la protection du journalisme et la sécurité des journalistes, la France est le pays européen dans lequel les journalistes sont les plus harcelés, devant la Slovénie, l'Ukraine et la Pologne.
Les auteurs du rapport dénombrent 201 alertes concernant des faits d’atteinte à la liberté des médias et à la sécurité des journalistes, soit 40% de plus qu’en 2019, le chiffre le plus important jamais enregistré en une année, deux fois plus qu’en 2015 – année de création de ce baromètre européen des médias. Pire, le nombre d’agressions physiques contre des journalistes, mais aussi les faits de harcèlement et d’intimidation ont atteint selon le rapport «des niveaux records». Les organisations membres de la Plateforme du Conseil de l’Europe pour la liberté de la presse déplorent notamment les incidents et attaques à l’encontre des journalistes couvrant des manifestations, en Grèce, en France, en Italie, en Pologne, dans la Fédération de Russie, en Espagne, en Turquie et au Royaume-Uni.
Des violences récurrentes commises à l'égard des journalistes
Au micro de RT France, la secrétaire générale du Syndicat national des journalistes Dominique Pradalié expliquait en novembre 2020 durant une manifestation contre cette loi que «ce qui se joue, c'est tout simplement l'Etat de droit en France, la liberté d'informer». «L'intention est de museler la presse», poursuivait-elle.
Plusieurs autres épisodes sont venus illustrer le rapport particulier des autorités françaises à la liberté d'informer. De nombreux journalistes ont régulièrement alerté sur des violences commises par les forces de l'ordre à leur encontre alors qu’ils couvraient des rassemblements et des manifestations. RSF avait par exemple porté plainte contre le préfet de police de Paris Didier Lallement à la suite de «violences policières commises sur des journalistes lors d'une opération d'évacuation de migrants» à Paris, le 23 novembre 2020. La plainte de l'ONG pointait également une «entrave à l'exercice de la liberté d'expression».
Deux jours plus tôt, le 21 novembre, alors qu'il couvrait une manifestation à Paris contre le projet de loi Sécurité globale, un journaliste du Média avait été projeté au sol par le croche-pied d'un policier, lors d'une violente charge survenue après des heurts. Une séquence filmée par l'agence vidéo Ruptly. Scène similaire rapportée par l'AFP une semaine plus tard, toujours dans le cadre de l'opposition à ce projet de loi : le photographe syrien Ameer al-Halbi avait été blessé alors qu'il couvrait la «Marche des libertés» le 28 novembre. Il avait affirmé auprès de Libération qu'un policier l'avait frappé au visage d'un coup de matraque pendant une charge des forces de l'ordre contre des casseurs, alors que l'agent avait pourtant discerné qu'il était photographe, assurait-il.
RT France toujours persona non grata à l'Elysée
Par ailleurs, les journalistes de RT France, comme plusieurs de leurs confrères, rencontrent également des difficultés pour exercer leur métier, comme en témoigne la couverture chaotique de l'élection présidentielle 2017. Le mouvement du futur gagnant Emmanuel Macron, En marche, avait refusé toute accréditation aux reporters de RT. Une position renouvelée après l'arrivée au pouvoir de l'ancien ministre de François Hollande. A ce jour, l'Elysée refuse toujours à RT France l'accès à la salle de presse du palais présidentiel.