Un juge américain engage la vente d'actions Citgo, Caracas dénonce une dépossession
Le gouvernement du président Nicolas Maduro a dénoncé la décision d'un tribunal américain d'ouvrir la voie à la vente d'actions de Citgo, filiale aux Etats-Unis de la compagnie pétrolière d'Etat vénézuélienne PDVSA.
Nouvel épisode dans les sanctions infligées par le gouvernement étasunien au Venezuela à quelques jours de la fin du mandat du président américain Donald Trump ? Le 14 janvier, le juge fédéral Leonard Stark a estimé qu'«il était temps» d'enclencher le processus de vente d'actions de Citgo, filiale aux Etats-Unis de la compagnie pétrolière d'Etat vénézuélienne PDVSA, en dédommagement de la saisie d'une mine de l'entreprise canadienne Crystallex qui opérait au Venezuela.
Dans un communiqué de son ministère des Affaires étrangères, le Venezuela a dénoncé le 16 janvier la décision autorisant cette vente «par l'agonisant gouvernement Trump», agissant en «collusion avec des extrémistes vénézuéliens». Le juge «Stark est tellement hostile au Venezuela qu'il a suggéré à d'autres créanciers, qui ne faisaient pas partie du dossier dont il a la charge, qu'ils participent à la saisie [...] des actions de Citgo», selon ce communiqué lu à la télévision par le ministre vénézuélien des Affaires étrangères, Jorge Arreaza.
En 2011, le gouvernement vénézuélien avait saisi une mine aurifère attribuée à Crystallex et ensuite manqué de rembourser 1,2 milliard de dollars à cette entreprise, comme le prévoyait un arbitrage international. Cette somme a été portée depuis à 1,4 milliard de dollars. L'arbitrage en question «n'a rien à voir» avec PDVSA ni sa filiale aux Etats-Unis, selon Caracas qui rejette vigoureusement ce qu'elle qualifie de «crimes transnationaux» commis «dans le but de s'approprier des actifs du Venezuela».
«Un voile juridique à la remise criminelle du patrimoine des Vénézuéliens»
«C'est la répartition du butin [...] avec la complicité de son pantin local tenu en échec», poursuit le communiqué, dans une référence explicite à l'ancien député d'opposition Juan Guaido. Washington reconnaît en effet Juan Guaido comme président par intérim du Venezuela depuis janvier 2019 et avait remis à son camp le contrôle de Citgo peu après.
L'administration américaine a toutefois bloqué toute transaction impliquant des actions Citgo servant à honorer le service de la dette à moins d'une dérogation spécifique et a encore fait valoir devant le juge que la vente d'actions Citgo desservirait Juan Guaido et, par ricochet, «saperait la politique étrangère des Etats-Unis». Mais, le juge Stark estime dans son argumentaire que «le gouvernement n'a pas estimé que le tribunal n'avait "pas le droit d'avancer" et, aux yeux de la cour, il est temps de commencer le processus de vente».
Si Washington ne s'est donc pas officiellement prononcée en faveur de la vente d'actions Citgo, Caracas accuse l'administration américaine d'œuvrer pour cet objectif dans les coulisses. «Le seul but de ces actions était de fournir un voile juridique à la remise criminelle du patrimoine des Vénézuéliens au gouvernement de Donald Trump, à un groupe d'hommes d'affaires qui lui sont liés et aux extrémistes vénézuéliens qui se prêtent à commettre les agressions les plus graves jamais connues contre la République», dénonce ainsi le communiqué du gouvernement vénézuélien.
Le processus de dépossession
Une chronologie des sanctions contre le Venezuela établie par le journaliste indépendant Romain Migus, spécialiste de l'Amérique latine, permet de comprendre l'évolution de la situation de Citgo au miroir de la politique hostile menée par Donald Trump contre le gouvernement de Nicolas Maduro.
Le 24 août 2017, Donald Trump signait le décret 13808 intitulé «imposition de sanctions additionnelles à propos de la situation au Venezuela». Ce décret interdit toute une série de transactions avec l’Etat vénézuélien. Est alors établie une liste de restrictions aux opérations financières dont le versement de dividendes ou de bénéfices au gouvernement du Venezuela de la part d’entités se trouvant aux Etats-Unis. Cela affecte avant tout Citgo, entreprise appartenant à Pdvsa, et qui compte trois raffineries et plusieurs milliers de stations essence sur le territoire des Etats-Unis. Romain Migus rappelle que le manque à gagner pour le Venezuela est important, Citgo ayant rapporté à son pays 2,5 milliards de dollars depuis 2015.
Le 28 janvier 2019, cinq jours après l'autoproclamation de Juan Guaido comme président du Venezuela, les Etats-Unis qui l'avaient reconnu comme tel annonçaient un gel des actifs de PDVSA, propriétaire de Citgo, pour un montant de sept milliards de dollars, étouffant encore plus l'économie vénézuélienne, fortement dépendante de sa rentre pétrolière.
Moins de deux semaines plus tard, l'Assemblée nationale acquise à Juan Guaido a nommé un nouveau conseil d'administration pour Citgo, en faisant de fait la propriété de ce gouvernement parallèle.
Loin de s'arrêter, quelques mois plus tard, le 5 août 2019, Donald Trump imposait par décret un embargo économique total contre le Venezuela, gelant tous les actifs du pays et de ses entreprises dont PDVSA, la Banque centrale vénézuélienne et Citgo. Dans le cas de Citgo, cette mesure évitait donc aussi que l'entreprise ne soit saisie par Crystallex, seule bonne nouvelle pour le gouvernement vénézuélien de Maduro. La décision prise le 14 janvier 2021 par le juge Leonard Stark compose donc avec ce décret, ouvrant la voie à la dépossession totale de Citgo pour l'Etat vénézuélien.
Meriem Laribi