Une guerre sans fin : ce qu'il faut retenir pour le 15e anniversaire de l’invasion de l’Afghanistan
Le 7 octobre 2001, les troupes américaines envahissaient l’Afghanistan. Ce qui semblait devoir être une victoire rapide contre le régime des talibans s’est révélé une guérilla sanglante et sans fin.
L’administration Bush, deuxième du nom, avait accusé à l’époque le réseau terroriste Al-Qaïda dirigé par Oussama Ben Laden d’avoir détourné les avions civils qui se sont abattus sur les tours jumelles du World Trade Center à New York et près du Pentagone. La Maison Blanche croyait qu’Oussama Ben Laden se trouvait en Afghanistan et a demandé aux talibans de le leur livrer. Le leader de ces derniers, le Mollah Omar, a demandé des preuves. A la place, il a eu la guerre.
A l’aide des avions et des soldats américains, les seigneurs de la guerre de l’Alliance du nord ont chassé les talibans des principales villes du pays et se sont emparés de Kaboul, la capitale, vers le milieu du mois de novembre 2001. Un nouveau gouvernement a été mis en place et Hamid Karzai, soutenu par les Etats-Unis, est devenu président. Les alliés de l’OTAN ont cautionné l’effort américain en envoyant des troupes pour soutenir la «reconstruction» de l’Afganistan.
Initialement l’opération américaine avait été nommée «Infinite Justice» (justice infinie). Ensuite, elle a vite été rebaptisée «Enduring Freedom» (liberté immuable) en raison des craintes de porter atteinte aux sentiments religieux des Afghans. Toutefois, le deuxième nom s’est révélé de mauvaise augure : depuis cette époque, Washington et ses alliés n’ont toujours pas réussi à se retirer du pays.
Ainsi vont les choses
Même si le président George W. Bush avait donné le signal de départ de cette guerre en Afghanistan, c’est son successeur Barack Obama qui a dirigé la «poussée» de l’intervention, visant à mettre un terme à celle-ci. Quinze ans après l’invasion, il reste encore un peu moins de 9 000 soldats et officiers américains en Afghanistan. Un chiffre à comparer avec un maximum de 100 000 en 2011. Ce contingent fait partie de l'«Operation Freedom’s Sentinel» (Opération sentinelle de la liberté) et le Pentagone insiste sur le fait que ces hommes ne jouent qu’un rôle de «conseillers et assistants» pour les militaires afghans, plutôt que de combattre les talibans ou l’Etat islamique. Cependant, le sergent Adam S. Tomas, 31 ans, a été tué récemment dans la province de Nangarhar. Sa mort serait due à l'explosion d'une bombe artisanale. Il est le troisième militaire américain à perdre la vie en Afghanistan cette année.
Depuis 2002, les Etats-Unis ont dépensé plus de 60 milliards de dollars pour former et équiper les forces de sécurité afghanes, selon Reuters. Le 6 octobre, le Pentagone a révélé qu'un certain nombre d'Afghans venus aux Etats-Unis pour être formés avaient déserté. Depuis le lancement du programme en janvier 2015, 44 Afghans sont partis sans permission, dont huit pendant le seul mois de septembre 2016, comme Adam Stump, porte-parole du Pentagone, l'a confirmé à l'agence Reuters.
La culture de l'opium, interdite en vertu de l'interprétation stricte de l'islam par les talibans, a fait un splendide retour pendant la guerre. Un rapport de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a estimé l'ampleur de la culture de l'opium en Afghanistan à plus de 200 000 hectares. Les chiffres définitifs pourraient encore dépasser le record de 2014 (224 000 hectares).
«L'élimination [des champs de pavot pour la production d'opium] a été proche de zéro», a rapporté le directeur exécutif de l'ONUDC, Iouri Fedotov à la conférence des donateurs internationaux à Vienne en Autriche le 6 octobre.
Comment en est-on arrivé là ?
Même si l'invasion de 2001 a réussi à faire tomber le gouvernement taliban, les Etats-Unis ne sont pas parvenus à capturer ou tuer Oussama Ben Laden, cerveau présumé des attaques du 11 septembre, pendant dix ans. En un mois, les troupes américaines passèrent au peigne fin les «grottes noires» de Tora Bora, à la frontière avec le Pakistan, où Ben Laden était censé se cacher.
Malgré la promesse électorale de George W. Bush de mettre fin aux missions d'«édification des nations», les militaires américains et ceux de l'OTAN se sont vite retrouvés impliqués dans une campagne de contre-insurrection classique, effectuant des patrouilles depuis des bases dans la campagne afghane et lançant des offensives contre des insurgés toujours insaisissables, qu'il s'agisse des talibans ou d'Al-Qaïda.
Les commandants américains en Afghanistan continuaient à demander plus de troupes, mais la quasi-totalité des forces de Washington étaient occupées en Irak, après que l'invasion de 2003 eut pris le même chemin que celle d’Afghanistan : de la victoire rapide au bourbier. Grâce à la combinaison de «poussées» en termes de militaires et des pots-de-vin versés aux dirigeants locaux, les Etats-Unis ont réussi à briser la majeure partie de l'insurrection en Irak. Après son élection, Barack Obama a mis en place un programme similaire en Afghanistan.
En mai 2011, une équipe commando Navy SEAL's a attaqué une demeure d'Abbottabad, au Pakistan, et a tué Oussama Ben Laden, rapporte le gouvernement des Etats-Unis. Une décennie plus tard, l'objectif justifiant l'intervention armée en Afghanistant était atteint.
Avec la disparition de Ben Laden, le président américain a annoncé un retrait progressif d'Afghanistan d'ici la fin 2016. L’arrêt des opérations de combat a officiellement été déclarée en décembre 2014.
Toutefois, quelqu'un a oublié de le dire aux talibans. En mai 2015, une frappe de drone américain au Pakistan a tué le chef du groupe, Mohammad Mansour.
«Il est temps que les Afghans cessent les combats et commencent à construire un véritable avenir ensemble», avait à l'époque déclaré le secrétaire d'Etat John Kerry, exhortant les talibans à négocier avec le gouvernement afghan du président Ashraf Ghani. L’ancien ministre des Finances durant le premier mandat de Hamid Karzaï, Ashraf Ghani a été élu en 2014 à la présidence afghane, à l’issue d’un second tour de scrutin controversé, l’opposant à Abdullah Abdullah.
A la place, les talibans ont nommé Mullah Haibatullah Akhundzada comme nouveau chef et lancé une nouvelle offensive. En septembre 2015, un de leurs groupes s'est emparé de Kunduz, grande ville du nord près de la frontière avec le Tadjikistan. Ils en ont été chassés au bout de deux semaines de combats intenses, au cours desquels les avions américains ont détruit un hôpital géré par l'ONG Médecins sans frontières (MSF).
Un an plus tard, les talibans étaient de retour à Kunduz, plantant leur drapeau sur la place principale de la ville.
Les victimes de la guerre
Plus de 4 000 soldats de la coalition et 15 000 soldats afghans sont morts au cours de l'opération «Liberté immuable». Les pertes américaines au cours de ces 4 830 jours d'opération se sont élevées à 2 356 morts et 19 950 blessés alors que chez les talibans, on dénombre de 25 000 à 40 000 victimes.
Depuis lors, l'opération Sentinelle de la liberté a fait 24 morts et 124 blessés côté américain précise le Pentagone. Les alliés de l'OTAN ont pour leur part perdu sept soldats.
Les estimations du nombre de victimes civiles varient entre 31 000 pour l'Institut Watson d'études internationales et 170 000, répertoriées dans le rapport Body Count, édité par Physicians for Social Responsibility and the Prevention of Nuclear War.
A titre de comparaison, la guerre soviéto-afghane qui a duré de 1979-1989 a fait 14 000 morts du côté soviétique, de 75 000 à 90 000 du côté des moudjahidine pour des pertes civiles estimées entre 850 000 et 2 millions.
Tragédie afghane
Les Etats-Unis et l’UE ont promis 15 milliards de dollars lors de la récente conférence des donateurs en Autriche, pour financer le gouvernement afghan durant les quatre ans à venir.
Le coût estimé de la guerre en Afghanistan s'élève à 685,6 milliards de dollars, selon le service américain de recherches du Congrès (CRS). Le coût à long terme peut être pourrait atteindre les 6 000 milliards de dollars, si l'on tient compte des «soins médicaux à long terme et des indemnisations pour invalidité versés aux membres du service, aux anciens combattants et aux familles, les approvisionnements militaires et les coûts sociaux et économiques», d'après les estimations de Linda Bilmes de Harvard Kennedy School of Governement.
Les milliards de dollars destinés à la «reconstruction» de l’Afghanistan ont été dépensés pour des avions qui ont fini à la casse, des stations-service pour 30 millions de dollars et des avions destinés à lutter contre la culture du pavot qui n’ont jamais décollé, comme l’inspecteur général spécial américain pour la reconstruction de l’Afghanistan (SIGAR) l’a démontré.
Les efforts de lutte contre la drogue ont coûté à eux seuls plus de 8,4 milliards de dollars, sans produire d'effets concrets. Aujourd'hui, l’Afghanistan produit plus de 90% de l’héroïne dans le monde, dans des quantités beaucoup plus importantes qu'avant 2001.
Sans doute, la plus grande ironie de cette guerre en Afghanistan est que les Etats-Unis ont fini par lutter contre les mêmes personnes qu'ils soutenaient pendant la guerre froide. Vers la fin des années 1970, Washington soutenait secrètement les rebelles islamistes en vue d'etraîner l'Union soviétique dans un «enlisement du genre de celui du Vietnam». Après le retrait soviétique en 1989, ces rebelles, les moudjahidine, ont commencé à se battre entre eux, et les talibans sont en fin de compte devenus la faction dominante.
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