Accusé de conflits d'intérêts, Dupond-Moretti répond «vie privée» et «liberté d'expression»
Selon Mediapart, le ministre de la Justice serait lié à deux conflits d'intérêts : un concernant le PNF, qu'il a vertement critiqué par le passé ; l'autre sa proximité avec l'avocat Thierry Herzog cité dans l'affaire «Bismuth». L'intéressé a réagi.
Dans un article publié le 14 septembre signé Fabrice Arfi, Mediapart accuse le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti de «double conflit d’intérêts» : «d’une part, au Parquet national financier (PNF) et, d’autre part, au futur procès pour corruption de l’ancien président Nicolas Sarkozy et de son avocat [maître] Thierry Herzog dans l’affaire "Bismuth".»
Réception d'un rapport sur le PNF, pour lequel il n'a pas caché son mépris par le passé
En ce qui concerne le premier, Mediapart rappelle qu'il s'agit d'un conflit d’intérêts «de notoriété publique». Le garde des Sceaux devait, le 14 septembre, se voir remettre un rapport de l’Inspection générale de la justice sur le fonctionnement du PNF. Le rapport en question, explique le pure player, doit clore une mission lancée au début de l’été après des révélations du Point sur de l'affaire dite «Paul Bismuth» ou affaire «des écoutes» de Nicolas Sarkozy.
Dans cette histoire, l'ancien chef de l'Etat est soupçonné d'avoir tenté d'obtenir début 2014, par l'entremise de l'avocat Thierry Herzog, des informations secrètes auprès de l'ancien haut magistrat à la Cour de cassation Gilbert Azibert dans une procédure en marge de l'affaire Bettencourt, en échange d'un coup de pouce pour un poste à Monaco.
Le Point avait dévoilé, en juin 2020, qu’une enquête avaient été menée en catimini par le parquet national financier (PNF) pour identifier la taupe éventuelle qui aurait informé Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog qu’ils étaient sur écoute.
Le PNF avait notamment demandé d'éplucher les factures téléphoniques d'avocats... parmi lesquels Eric Dupond-Moretti, qui avait déposé plainte contre le PNF après les révélations de l'hebdomadaire. Une fois ministre, celui-ci a retiré aussitôt sa plainte, ayant en effet autorité sur tous les parquets de par cette fonction.
Pour autant, la question d'un conflit d'intérêts se pose toujours selon Mediapart : «Est-ce que le retrait de la plainte de l’avocat Dupond-Moretti suffit à éteindre le conflit d’intérêts qui le vise s’agissant des suites que le ministre Dupond-Moretti souhaitera donner aux éventuelles préconisations de la mission de l’Inspection, déclenchée après la découverte d’actes judiciaires l’ayant concerné à titre personnel ?»
Une interrogation nourrie, en outre, par le fait que Dupond-Moretti conspuait encore publiquement, fin juin auprès de France Info, une «clique de juges qui s’autorise tout, qui sont les gardiens autoproclamés de la morale publique et qui s’autorisent tout au nom de l’indépendance».
Une amitié avec Herzog qui interroge Mediapart... et Anticor
De plus, relève Mediapart : «Dans un reportage (texte et photos) [de Paris Match] consacré aux "vacances amoureuses" d’Eric Dupond-Moretti sur la Côte d’Azur, on découvre que le ministre a passé une partie de ses congés dans le Sud en compagnie de Thierry Herzog, prévenu pour "corruption" avec Sarkozy dans le procès Bismuth, qui doit se tenir en novembre et décembre prochains.» Dans le magazine sus-cité, Thierry Herzog décrit Eric Dupond-Moretti comme un «pote de toujours».
Partant, Mediapart s'interroge : «La mise en scène – assumée – de la proximité du prévenu Herzog avec le ministre en exercice n’est-elle pas de nature à créer, au minimum, le trouble au sein d’un parquet comme le PNF, qui, placé sous l’autorité statutaire du ministre, devra requérir contre son "pote de toujours" à l’automne prochain ?» Et le média d'investigation de noter que le nom de Thierry Herzog – présumé innocent – n'est pas seulement cité dans l'affaire «Paul Bismuth», mais également dans l'un des volets de l’affaire des financements libyens, dont s'occupe aussi le PNF.
Le garde des Sceaux a passé une partie de ses congés avec l’avocat de #NicolasSarkozy, Me Thierry Herzog, jugé en novembre prochain pour #corruption dans l'aff. #Bismuth. Au procès, l’accusation sera portée par le PNF, placé sous l’autorité... du ministre. https://t.co/97SREVOs2B
— Anticor (@anticor_org) September 14, 2020
La célèbre association contre la corruption et pour l'éthique en politique Anticor, a relayé l'article de Mediapart avec le commentaire sobre : «Le garde des Sceaux a passé une partie de ses congés avec l’avocat de Nicolas Sarkozy, [maître] Thierry Herzog, jugé en novembre prochain pour corruption dans l'affaire Bismuth. Au procès, l’accusation sera portée par le PNF, placé sous l’autorité... du ministre.»
«J’ai le droit au respect de ma vie privée, ainsi qu’à ma liberté d’expression», fait valoir Dupond-Moretti
Après la publication de l'article de Mediapart, Eric Dupond-Moretti a répondu au pure player, qui l'avait sollicité dès le 9 septembre : «J’ai le droit au respect de ma vie privée, ainsi qu’à ma liberté d’expression. En ce qui me concerne, je préfère les vrais procès (ou les prévenus sont présumés innocents) aux procès d’intention que vous faites dans chacune de vos questions. Thierry Herzog est un ami et le restera».
J’ignorais que Mediapart plaidait pour l’abandon de ses amis en fonction des circonstances
Et le membre du gouvernement d'ajouter : «J’ignorais que Mediapart plaidait pour l’abandon de ses amis en fonction des circonstances. Je suis preneur naturellement de tous vos conseils, dont vous êtes prodigue en toute matière, je vous consulterai donc et me placerai sous votre houlette lors de mes prochaines courtes vacances pour les attributions des droits de visite. Monsieur [Fabrice] Arfi [co-responsable des enquêtes à Mediapart]m’a un jour proposé "un bon repas" par SMS. Je l’ai refusé mais l’aurais-je accepté que je ne serais pas devenu son ami ou son séide».
Une référence, explique Fabrice Arfi, à un débat ou entretien que Mediapart avait proposé à l'avocat en février 2019, après que celui-ci avait accusé le média d'investigation de «méthodes de Mediapart sont indignes, dégueulasses, staliniennes» dans un entretien au mensuel Causeur.