Législatives : vers un avenir difficile pour la France après le premier tour ?

Législatives : vers un avenir difficile pour la France après le premier tour ? Source: AP
(image d'illustration).
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Selon Gilles Casavona, la victoire de l'alliance de gauche Nupes au premier tour des législatives masque plusieurs phénomènes de fond – dont le reflux historique de la gauche en France et le score particulièrement mauvais du parti présidentiel.

Les résultats du premier tour des élections législatives font apparaître une légère victoire de la coalition de gauche Nupes, d'autant plus notable que la gauche était donnée comme morte, définitivement disparue, après les résultats calamiteux de la plupart des candidats de ses partis traditionnels au premier tour. Jean-Luc Mélenchon avait, avec un mouvement original récent et non structuré, obtenu un meilleur résultat en absorbant le vote de nombreux électeurs de gauche, mais l’on s'interrogeait sur la possible conversion de ses votes dans les élections législatives qui allaient suivre, où ce sont plutôt les partis traditionnels qui disposent de personnalités ayant un ancrage local. Cette impression de victoire de la Nupes a été curieusement renforcée par les manœuvres du ministère de l'Intérieur qui est allé étrangement manipuler quelques chiffres et quelques étiquettes dans les Outre-Mer pour masquer la première place de cette alliance, que reconnaît même le quotidien du soir très proche des milieux gouvernementaux, Le Monde. Pourtant cette victoire sur le rassemblement autour du président fraichement réélu, et qui tient à quelques décimales, masque un certain nombre de phénomènes qui n'ont pas été l'objet d’autant de commentaires.

Le caractère dynamique du leader de la Nupes, et son habilité de communication pour se présenter comme un Premier ministre alternatif, sont indiscutables. Mais cette alliance qui a mené une campagne tambour-battant, ne recueille cependant que 63 766 voix de plus que le total des voix des partis qui la composent en 2017. Or c’était une des pires années pour la gauche. Avec 14,88% des inscrits, et 16,34%, si l’on ajoute les dissidents et les divers, la gauche ne se relève pas vraiment en 2022, ne dépassant pas 35% des exprimés, elle qui fut majoritaire. Cette apparence de retour de la gauche est essentiellement donnée par l'effondrement du parti présidentiel. Celui-ci est historique. Alors que traditionnellement les présidents élus augmentent parfois de plus d'un million de voix le résultat entre le premier tour de la présidentielle et le premier tour des législatives pour leur parti, ce qui fut le cas pour François Mitterrand, Nicolas Sarkozy, et même François Hollande, cela n'avait pas été le cas pour Emmanuel Macron dès 2017. Cette fois c'est un recul de plus d'un demi-million de voix par rapport aux législatives de 2017, alors que nombre de petits partis issus de nouvelles défections à droite et à gauche avaient rejoint l’alliance autour du président. La sanction est arrivée dès le premier tour avec 32 députés sortants éliminés définitivement, dont d’anciens ministres.

L’autre événement remarquable se situe dans la consolidation du vote radical à la droite de l'échiquier politique

L’autre événement remarquable se situe dans la consolidation du vote radical à la droite de l'échiquier politique. On peut imaginer que la gauche en s’étant lancée pour le second tour de la présidentielle dans une campagne pour la réélection d’Emmanuel Macron, n'a pas rapproché d'elle les catégories populaires qui régulièrement l'ont quittée pour manifester autour de la famille Le Pen et son hostilité aux politiques menées sous la houlette de Bruxelles. On peut imaginer que la droite traditionnelle qui a elle aussi mené campagne pour la réélection d’Emmanuel Macron au second tour a vu s’échapper une partie de son électorat, fortement préoccupé par l’immigration et l’insécurité vers l’offre nouvelle et politiquement structurée pour lui plaire d’Eric Zemmour.

Ce sont près de 2 millions de voix de plus qu'en 2017 que rassemblent RN et Reconquête!, chacun des deux apportant à peu près la moitié de cette progression. On peut imaginer 1 million de voix provenant d’électeurs de catégories populaires ayant jadis voté à gauche, et 1 million de voix provenant d’électeurs de catégories socioprofessionnelles plus élevées, électeurs de la droite traditionnelle, les premiers vers le Rassemblement national, les seconds vers Reconquête!. C'est d'autant plus marquant qu’à quelques exceptions près ces deux formations présentaient des candidats inconnus dans leurs circonscriptions, et que le Rassemblement national s’était lancé dans une offensive extrêmement virulente visant à détruire Reconquête!, c'est-à-dire exactement l'inverse du mouvement qui avait lieu à gauche. C’est cette guerre fratricide qui a limité la visibilité de cette progression et c’est elle qui minimise leur capacité d'être en bonne position pour obtenir des sièges au second tour, le Rassemblement national ayant accepté ce sacrifice pour interdire à Reconquête! l'entrée du Parlement.

De cet ensemble de phénomènes résulte une probabilité assez sérieuse que le président récemment réélu n’obtienne pas une majorité absolue à l'Assemblée nationale. Il faudrait à l'alliance Nupes remporter 80% des duels dans lesquels elle est présente pour obtenir la majorité absolue, ce qui apparaît très difficile, sauf par une mobilisation massive, d’abstentionnistes de gauche, ce qui rend extrêmement peu probable une cohabitation. En revanche, il faudrait aux partis du président remporter plus de 70% de leurs duels pour obtenir la majorité absolue, là aussi cela apparaît difficile sauf une mobilisation massive, des abstentionnistes en sa faveur. Toutefois, le phénomène le plus violent de ce scrutin reste l'abstention, majoritaire. Très souvent les commentateurs se focalisent sur l'abstention, pour condamner les personnes qui ne vont pas voter, ou ressortir le serpent de mer de l'obligation du vote, ou de la reconnaissance du vote blanc, voire d'autres facéties de ce genre. Mais l'abstention n'est qu'un thermomètre, ce n'est pas la maladie, et il faut essayer de comprendre où se situe la maladie.

Cette abstention a des caractéristiques particulières. C’est principalement l'abstention des plus jeunes, et l’on va pouvoir commencer à dire des moins vieux, puisque les moins de 35 ans se sont abstenus à 70 %. La caractéristique des moins de 35 ans, c’est qu’ils n’ont pas connu la société française avec des partis politiques forts et organisés s’adressant directement aux électeurs pour développer leur position et leurs propositions. Ils n'ont connu que la vision présentée par le système médiatique de ces formations politiques. Or il y a eu ces dernières décennies, concomitamment avec la disparition des partis politiques sous forme organisée à la base, l'apparition d'un corpus de médiateurs, journalistes et éditorialistes, monopolisant le discours sur la politique, dans un système médiatique de plus en plus concentré. Ceci a conduit à ce que la politique n’est plus portée à la connaissance des catégories populaires et surtout des moins de 40 ans, que par ce corpus de médiateurs uniforme, que le philosophe Marcel Gauchet a appelé «le Parti des médias».

Etrange Parti pour qui, á l’unissons des amis d’Emmanuel Macron, les propositions politiques du Programme commun au milieu des années 1970 (que reprend NUPES) sont considérées comme une «extrême gauche fascinée par les totalitarisme, et soumise à Poutine», et les propositions du RPR du début des années

1980 (que reprennent RN où Reconquête) sont considérées comme une «extrême droite fascinée par les totalitarismes, et soumise à Poutine». Si l’on ajoute que ces même médiateurs s’enthousiasment tous du fait que chaque semaine Emmanuel Macron téléphone à Vladimir Poutine, on imagine à quel point tout cela est extrêmement peu intelligible pour qui ne s’intéresse pas précisément à la vie politique, et encourage cette abstention, majoritaire absolue. On comprend mieux la faiblesse globale de l'offre politique, et de la mobilisation qu'elle peut entraîner, lorsqu’on note qu’à sa droite comme à sa gauche, chez les opposants à une majorité présidentielle qui a renoncé à la souveraineté au profit de dispositifs multilatéraux (Bruxelles, Francfort, etc.), il ne s'agit que de la reprise de propositions anciennes, que les partis qui les portaient n’ont pas mises en œuvre, lorsqu'ils sont arrivés au pouvoir. Et que c'est précisément ce défaut de mise en œuvre de leur programme qui a produit leur déréliction.

Mais cette dépolitisation des élections n’est pas une dépolitisation de la société française. Car la France n'est pas un espace naturel où se serait retrouvée une ethnie, c’est une construction politique autour d'un Etat, réalisée par 30 rois et confortée par 5 républiques. Le phénomène des Gilets jaunes a montré la capacité de la société française à toujours produire turbulences et explosions. On peut craindre que les deux tiers des Français qui ne souhaitaient pas la réélection d’Emmanuel Macron, comme les deux tiers des Français qui ne souhaitent pas qu’il ait une majorité absolue ce dimanche, trouvent une autre voie d’expression moins modérée, si un système électoral tellement particulier et qu’Emmanuel Macron avait promis de réformer, reconduit sa majorité – seul ou avec l’appui de LR qui n’a plus guère d’autre rôle que supplétif – une majorité coutumière de votes d’ordonnances et de pouvoirs spéciaux plus que de débats parlementaires ouverts.

Pour la France, l’avenir semble être dans la difficulté.

Gilles Casanova

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